Depuis quelques jours, de nombreuses structures culturelles ont dû fermer leurs portes. Pourtant, elles avaient travaillé sur des expositions de grande qualité. BTN vous propose une visite virtuelle de ces lieux en vous partageant ses textes qui pourront vous rapprocher au plus près de ces expositions.
Mecaro, Hôtel des Collections, Montpellier
Après le Japon, la Russie c’est au tour de l’Amazonie de se voir conviée pour la 3ème édition de l’Hôtel des Collections, en la personne de la franco-britannique, Catherine Petitgas. Si la Russie reste pour nous attachée à la fin des illusions utopiques, l’Amazonie, et les pays qui lui sont attachés, ne peut se dissocier de l’urgence écologique. La forêt brûle et nous regardons ailleurs, disait un ancien président.
On connaît moins, sur le plan artistique ce qui se réalise en Amérique du sud, même si certains noms se détachent, tels celui d’Anna Bella Geiger (ici présente par des portraits en noir et blanc, aux regards obstrués de cartes postales d’indigènes nus), de Teresa Margolles (ces femmes-Sisyphe qui transportent des pierres équivalent à leur poids) ou de Lygia Clark (fin et élégant pliage sur aluminium, des années 60).
Plusieurs dizaines d’artistes, dont beaucoup de femmes, sont répartis selon une scénographie subtile, parmi les salles de l’Hôtel, qu’il s’agisse de nous faire découvrir quelques références historiques, de nous faire prendre conscience des mutations urbaines, de nous pousser à contempler la Cosmologie amazonienne ou, last but not the least, de nous plonger dans l’espace dévolu au féminisme tropical. On est donc résolument dépaysés même si des références à une histoire de l’art qui nous est plus familière ne cherchent point à se cacher. L’extraordinaire toile haute en couleurs de Beatriz Milhazes, un véritable carnaval de Rio de mouvements orchestiques, ne cache guère sa dette envers l’orphisme des Delaunay ; Sandra Gamara décline, en modèle réduit, les hommages au carré de Joseph Albers en lesquels elle glisse à la limite du visible des visages de disparus ; le célèbre Ivan Serpa s’inscrit dans une tradition néo-constructiviste, qu’il assouplit et personnalise. En fait, on est engagés dans une diversité de pratiques, couvrant une soixantaine d’années un peu comme dans une jungle qui nécessiterait des repères (L’amusante Jungle Jam, du collectif Chelpa Ferro, est constituée de sacs plastiques colorés qui se mettent à tourner et s’abimer régulièrement). On passe, par exemple, d’une fascinante vidéo sur des fourmis porteuses de drapeaux universels, de Donna Conlon, à la reconstitution d’un véritable salon de coiffure vénézuélien, lieu social par excellence, de Sol Calero. Des objets saisis dans la résine, récupérés pour moulage, de Patricia Camet, ode ironique à la société de consommation, aux fabuleux dessins au charbon de Nohemi Perez, recelant bien des drames, réalisé dans les années 60 – car on voyage aussi dans le temps. Ou encore des quinze doigts de bronze, concoctés par Manuela Ribadeneira, polysémiques et tragiques, à ces simples coussins abandonnés, maculés de taches, mais en marbre, de Valeska Soares. On circule de la rutilance la plus extrême (la sculpture molle, organique et végétale de Maria Nepomuceno, les toiles néo pop sursaturées de Luis Zebini), et de l’exotisme le plus revendiqué (Les tas de bonnets péruviens détricotés de Ximena Garrido-Lecca), à la sobriété la plus absolue (l’œuvre au noir, en tissus, de Tonico Lemos Auad).
Dès le début, nous sommes immergés dans un opéra olfactif, visuel et sonore, dans des tons orange empruntés aux abeilles, d’Oswaldo Macia. Inversement, en toute fin de parcours, le visiteur est invité à déguster les sorbets en forme de mains, de visages ou de phallus, du collectif Opavivarai. L’humour n’est d’ailleurs pas exclu : Dan Vo se joue des représentations approximatives de l’anthropophagie sur des vases de faïence ; les organismes péruviens de Garrido-Lecca (années 80 !) ont un air d’hybrides anthropomorphes (métal et terre ou bois) tels qu’ils hantent l’esprit de nos artistes contemporains. Au demeurant, une telle exposition doit se visiter plusieurs fois. Les œuvres les plus discrètes ne sont pas le moins pertinentes. On reste scotchés devant les bandes d’impressions chromogéniques toutes en verdure sur acrylique, de Claudia Jaguaribe, figurant la forêt dans ses rythmes et brisures, rangée comme des livres sur une étagère. Par les artefacts de pierres roulées sous les vents d’Elena Damiani. Ou de ce lever de Mars, en panier de carton et minuscules impressions photos, suspendu par Clarissa Tossin. Les haricots noirs, de Lucia Nogueira, pris dans des mailles de filets métalliques, font leur petit effet. On ne peut tout citer : les boites à coutures locales, alignées par Valeska Soarez, l’expérience interactive et chamanique d’Ernesto Neto, les torsions murales de Sonia Gomez, qui méritent aussi que l’on s’y arrête.
On ne saurait tout citer. Une réussite, assurément et qui témoigne de surcroît des goûts sûrs et éclectiques d’une passionnée qui oriente notre curiosité vers un point du globe que nous avons trop tendance à négliger.
BTN