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Grabels : l’artiste Bocaj expose à la médiathèque jusqu’en décembre

6 Nov 2024 | Expos, Expos, Hérault

Bocaj, on dit simplement son nom, privé de prénom, tellement son style singulier le distingue de la plupart des productions picturales. Essayons de le définir en tant que tel, de manière à dégager une unité dans la diversité des propositions du peintre.

D’abord, il fait confiance à la figure, en tout cas pour les images qui apparaissent dans ses tableaux en position centrale, au premier plan. C’est d’ailleurs une constance dans son travail. La composition est le plus souvent hiérarchisée autour d’une figure principale. De part et d’autres, comme en satellites, peuvent apparaître des figures que nous qualifierons de secondaires, à l’instar de la reine (du tableau) et ses favorites. En fond, soit c’est la neutralité la plus absolue, soit au contraire la prolifération dynamique de dessins empruntés à tous les univers  (motifs se référant à la Nature, portraits de personnages divers, crânes émanant de quelque vanité).

Cette figure est le plus souvent féminine, plutôt jeune et carrément belle, en tout cas, disons idéalisée, à l’instar de ces mannequins ou femmes fatales qui peuplent depuis des décennies nos magazines, nos écrans et même nos bandes dessinées et font donc partie de notre culture. Bocaj l’affuble de vêtements spécifiques et de coiffures originales ce qui concourt au processus de sublimation, même si les modèles, réels ou iconiques, peuvent être empruntés à l’entourage de l’artiste, de chair ou de papier. En fait, pour reprendre une expression bien connue, Bocaj traque la beauté partout où il la trouve et ne se lasse jamais de lui attribuer une représentation concrète, comme plus vraie que nature. Ainsi Bocaj montre-t-il la diversité des visages que peut prendre la beauté moderne. Et ainsi la richesse esthétique qui s’offre, pour qui sait observer, à nos regards. Cela compense la laideur qui sévit en ce monde et nous la fait oublier, le temps de la contemplation du tableau.

Cette beauté ne s’embarrasse pas de critères liés à l’origine. Au contraire, elle n’est jamais aussi exaltante que lorsqu’elle est typée ou métissée. La période où nous vivons est fascinée par les hybridités possibles, en particulier celles liées au corps. Bocaj illustre parfaitement cette fascination légitime pour ce qui constitue notre avenir. L’exotisme l’attire parce qu’il est source de nouveauté et donc de recherche potentielle. L’œuvre de Bocaj participe à cette ouverture d’esprit qui caractérise un humanisme authentique. Le sujet qu’il s’est choisi est inépuisable. A l’instar d’un musicien de jazz, le peintre est capable de produire des variations infinies sur le même thème, la Femme, la Beauté, la Peinture. Ces trois mots sont équivalents chez Bocaj. Il les décline par séries : Black ladies, Rouge et Noir, Exotiques…

Encore faut-il avoir l’œil. La Beauté n’est, dans le réel, ni permanente ni éternelle. Ce n’est pas par hasard si la figure du crâne se mêle à des représentations diverses relevant de la vie et de ses divertissements (pour parler comme Pascal) en arrière-plan des figures féminines centrales. C’est justement l’objectif du peintre que de lui assurer un tant soit peu de pérennité. Il faut; pour cela, choisir le bon angle, la meilleure expression, l’accoutrement adéquat, les charmes à mettre en valeur, le maquillage idéal… Le peintre ne recule pas devant les attraits de l’érotisme. Bocaj agit ainsi tel un photographe qui tire le meilleur parti de ses modèles. Sauf qu’il choisit la sensualité de la matière picturale qui déréalise l’image en l’arrachant au réel afin de mieux la rendre visible et définitive dans le cadre du tableau. Cela permet en outre de figurer l’alentour selon les fantaisies que le sujet lui inspire.

Bocaj préfère manifestement le plein au vide. La plupart de ses tableaux sont saturés d’ornements divers, ce qui déréalise encore davantage le portrait féminin proposé. Il peut s’agir de motifs floraux extrêmement stylisés et couvrant la surface vacante. Ils sont traités frontalement rappelant que le tableau est avant tout un plan, une surface plane. Ce procédé concourt à la déréalisation du portrait qui s’est transformé en image définitive. Le caméléon figure cet aspect métamorphique. Il peut s’agir aussi d’animaux, plus ou moins étranges de l’hippocampe au lapin), plus ou moins exotiques (lion, rhinocéros, hermine, chien), plus ou moins anthropomorphes (notamment le cochon, hilare) ou d’objets (révolvers, voitures, bateaux, monuments par ex) mais ils sont soit combinés à d’autres motifs plus humains, soit traités en tant que coiffes inédites. Tel est le cas des Black Ladies aux chevelures de lézards par ex. Le plus souvent ce sont des portraits de gens célèbres ou de catégories humaines (marins) qui saturent l’arrière-plan et se distinguent du premier par l’absence de couleur et la prédominance graphique. Ainsi le premier plan ultra-léché du point de vue des couleurs, gris glacé et photographique compris, se détache-t-il du fond où le noir et blanc semble privilégié (parfois noir et rose). On y reconnaît toute la panoplie des références familières du peintre, et qui nous renseignent un peu sur ses goûts : vedettes mythiques de cinéma, créatures majeures de bande dessinée, références musicales, grands peintres… C’est ce rapport d’authenticité avec son monde personnel qui fait que chaque toile de Bocaj se reconnaît parmi tant d’autres. Toutes ces figures sont mises sur le même plan, comme dans l’univers du rêve où tout se mêle, l’espace et le temps, le passé et le présent, désirs et angoisses. Leur insertion dans le tableau, c’est comme s’ils faisaient partie des amis, de la famille. Bocaj se les est appropriés.

Comme il s’est approprié les sujets christiques ayant marqué notre culture picturale. La Cène, la Crucifixion, la Pietà, lesquels prouvent qu’il n’a pas froid aux yeux. Leur donner un peu de jeu, de fantaisie, en proposer une vision décalée. Voilà qui participe de l’émancipation des esprits et d’une liberté d’expression digne de ce nom. L’artiste ne manque pas de courage. Il ne craint pas le soufre. Des toiles au rouge infernal sont là pour en témoigner. Il aime à flirter avec le Mal. On peut même dire qu’il cultive les fleurs du mal.

J’ai beaucoup parlé de figures mais outre que l’excès de figuration trouble la lisibilité (un peu comme en musique la prolifération déterminées de notes peut donner à l’écoute un sentiment d’indétermination) et la fait évoluer vers une catégorie particulière d’abstraction, il arrive que Bocaj quitte les figures identifiables comme telles pour des motifs plus inattendus. Ainsi de certaines coiffes, sans doute empruntées aux arts primitifs, et qui sont à dominante abstraites. Ainsi également de certains fonds monochromes (constellés d’éclats lumineux) et sombres qui ne font ressortir que d’autant mieux les contours saturés du modèle, notamment les chevelures ou coiffes imaginaires.

Au fond, la binarité premier plan/arrière-plan chez Bocaj correspond à la dualité : reel/imaginaire. La Beauté féminine devient le point de départ d’un voyage vers l’inconnu qui se confond avec notre univers mental, nos références qui se combinent autrement, dans la plus pure fantaisie de l’esprit. Il n’est donc pas seulement question de corps, dans l’univers figural de Bocaj, mais bien d’une autre dimension qui relève de sa vision du monde, fraternelle et festive, même si elle n’est pas dupe des limites de la condition humaine. Laquelle explique d’ailleurs son  épicurisme apparent, au premier plan. Et son humour évident, car c’est encore le meilleur remède contre la déprime. Si Bocaj est au premier plan, c’est Jean-Paul qui se révèle derrière.

BTN

Photo : © Bocaj

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