Les médias suscitent de l’émotion à qui mieux mieux, mais on sait combien un scoop chasse vite l’autre. L’avantage du livre, c’est que l’on s’imprègne durablement de son histoire pour peu qu’elle sache nous toucher. C’est en quoi Françoise Renaud, en reconstituant l’itinéraire de ce très jeune homme venu des hauts-plateaux du Djembele, découvert par hasard (est-ce un hasard…) parmi la foule, a réussi un véritable coup de maître.
Il vient d’un autre continent et sa couleur est de Bois d’Azobé. Tel est le titre. Il s’agit, pour l’auteure de L’enfant de ma mère, de l’approcher sans le déranger. De déceler le mystère de son identité sans pour cela interroger le réel, simplement les vérités décelées au fil intermittent de l’écriture, ce moyen plus discret d’exploration. D’autant que le livre ne se contente pas de raconter des aventures migratoires. Il nous fait participer, à l’occasion des propositions d’un atelier d’écriture (François Bon), à la genèse même du livre, ses errements comme ses certitudes – avec de temps à autre la complicité des participants supposés de l’atelier. Si bien qu’à la fin du livre, on a la surprise de réaliser que Françoise Renaud a réussi le tour de force de rencontrer son personnage, une fois sa vie re-constituée, à notre intention, le long des multiples chapitres et des différentes sections qui lui auront permis de structurer empiriquement sa progression. Il s’agit en effet pour elle, une fois le choix du protagoniste effectué, dans la foule montpelliéraine, d’en révéler les secrets, qu’ils concernent ses origines, son ascendance, ses engouements, sa vie en Afrique et bien entendu, mais sans trop accentuer le pathos, son voyage vers notre pays, plus particulièrement notre ville et son Esplanade. C’est ainsi qu’il coupe le cordon de l’enfance et qu’il accède à l’âge d’homme. On est dans l’initiation. Celle de la découverte de notre monde et de la socialisation. Sa petite chambre d’exilé supposée, décrite minutieusement par la romancière in absentia, contraste avec la cahute en paille et en glaise, entourée d’herbes sèches et de forêt d’épineux, aux temps des jeux de l’enfance.
Avec le sens aigu du détail qui caractérise son écriture, la romancière remarque d’emblée la forme longiligne des mains et petit à petit la couleur de bois d’azobé de la peau, dont la mère de l’enfant a vanté naguère les vertus. Les termes exotiques impulsent véritablement la fiction scripturale. Ils fonctionnent à l’instar d’une madeleine de Proust, mais qui ne viserait pas à ressusciter la mémoire affective, plutôt à ouvrir l’espace scriptural africain, à concevoir d’autres espaces, croyances, coutumes et façons de gérer le temps ou la mort. C’est d’abord le mot Azobé bien sûr, arbre qui « donne un bois de haute densité réputé imputrescible, résistant aux chocs et au cisaillement ». « À partir de là, le texte a coulé », nous confie l’auteure. Mais aussi les noms propres : celui de la mère Edele, avec qui l’enfant entretient une relation quasi fusionnelle, ce qui nous vaut un morceau de bravoure, en ce roman, autour d’un rituel mortuaire aux antipodes de nos us et coutumes. Celui Ashenafi enfin, dont on comprendra le rôle trouble et sournois qu’il aura joué dans cette histoire, mage vendeur de pacotilles et acteur d’un crime dont il n’a sans doute même pas conscience, car tout n’est pas rose ni pur ailleurs, si loin du côté de chez nous. L’Afrique aussi a également ses côtés sombres. Toujours est-il que, par des changements soudains de technique narrative et de point de vue (prosopopée maternelle, journal intime), Françoise Renaud approche au plus près d’une vérité sur le personnage à qui, que l’histoire soit véridique ou pas, elle a fini par donner la vie, telle une seconde mère adoptive, à l’instar de la France en laquelle le jeune homme finit, grâce à l’activité artistique, par s’intégrer. Le vocabulaire est précis. Françoise Renaud aime mettre les sens en exergue. Son écriture est en ce sens très sensuelle, faite d’odeurs (« âcre et sensuelle des troupeaux ») et d’observations lyriques, de bruits de bêtes nocturnes et de chaleur bien évidemment, même en notre midi.
Au-delà, du coup de foudre « littéraire » avec cet enfant de bois dur, on découvre à la fin un être amoureux des mots, qui écrit, à l’instar de sa mère adoptive, mais qui chante aussi, tout comme sa mère réelle dans l’un des plus beaux passages du livre : Le chant infini d’Edele. D’un atelier, ne sortent pas que des apprentis. Peuvent jaillir des maîtres-verriers, et surtout des artistes. Françoise Renaud fait partie de cette catégorie. Non seulement elle sait raconter une histoire, mais elle sait raconter comment se raconte une histoire. C’est ce qui rend ce livre doublement attachant.
BTN
Eds Petites Proses, 220 pages.
francoiserenaud.com