De nombreuses structures culturelles ont dû fermer leurs portes ces dernières semaines. Pourtant, elles avaient travaillé sur des expositions de grande qualité. BTN vous propose une visite virtuelle de ces lieux en vous partageant ses textes qui pourront vous rapprocher au plus près de ces expositions.
Sur les pas de Samba Diallo, Maison Salvan, Labège (31)
On le sait depuis quelques temps : l’art est de plus en plus impliqué par le monde qui nous entoure, ses problèmes et son avenir. L’Afrique en fait partie et e n’est pas par hasard si un partenariat a été scellé entre la banlieue toulousaine et Dakar. On peut y voir au moins trois points d’intérêt : d’abord, et c’ est l’un des enjeux d’une telle initiative, la relecture de l’un des chefs d’œuvre de la littérature africaine, porteuse de sens pour des milliers de ces enfants qui sont l’avenir du monde ; ensuite la mise en exergue d’un continent qui, à l’instar de la Chine aujourd’hui, pourrait devenir l’un des points de fixation de l’art de demain ; enfin la question des nécessités et dilemmes migratoires. La traduction dans le champ des arts plastiques de ces trois axes tombe évidement sous le sens. « L’aventure ambiguë », de Cheikh Amadou Kane, pose la question de la relation complexe et problématique qu’un jeune sénégalais a dû entretenir avec la culture des blancs pour trouver sa voie. Au-delà de son caractère de roman initiatique, qui se termine en tragédie (le fondamentalisme, déjà !) et de la réussite, sociale et littéraire, ultérieure de son auteur, se pose la question du métissage culturel, de la formation d’une identité forcément divisée et de la nécessité migratoire, problème d’une actualité brûlante.
La galerie Le Manège de Dakar et la Maison Salvan ont donc demandé à cinq artistes en résidence, des deux continents impliqués, de travailler sur leur lecture et interprétation d’un tel roman, étudié dans pas mal d’écoles sénégalaises. Samba Diallo, d’une tribu de peuls, dont on est invités à suivre les pas, est le héros du livre. Sophie Bacquié, plutôt axée sur une peinture qui se réfère au réel de manière originale et synthétique, est toulousaine, et Laura Freeth, landaise (cf. aussi Espace Ecureuil à Toulouse), plutôt intéressée par des matériaux urbains, ont mis leur énergie en commun, l’allusion au texte référent assurant le rait d’union. Côté africain, trois intervenants, Kan Si, l’artiste multidimensionnel Babacar Mbyaye Diouf et le peintre des villes Ndoye Douts. Ceux-ci ont prévu deux types d’intervention : l’une plutôt graphique, conçue comme un rayonnement ou une propagation et qui demande à être perçue globalement puis dans le détail ; l’autre conçue comme une installation mettant en exergue le thème de l’enfance, en tant qu’il est porteur de tous les espoirs, également de tous les doutes et soumis au contexte souvent fait de frictions. Les deux françaises ont repris entre autres la technique autochtone du « souwère » (en gros technique d’une peinture sur verre, avec thèmes imposés et quelque peu bruts) tout en prévoyant des temps de pause et de narration concrétisés par des bancs. Les images se joignent au matériau contrasté et renvoient aux archétypes présents dans le livre (Le Chef, le fou, le Maître etc.). Les deux comparses se sont intéressés aussi aux contradictions qui caractérisent la ville, entre plateau et Médina, et qui sont un équivalent plastique de celles soulevées dans le livre (verre et béton par ex). La modernité n’est pas oubliée ainsi que le prouvent ce monument pour des Smartphones, alignés comme des stèles sacrées dont la vulnérabilité est rappelée par les vitres cassées. L’artiste polyvalent San Ki traduit cette fragilité en érigeant des manuels estampillés d’un pas d’homme sur des livres maintenus en équilibre sur des roseaux. Douts, l’artiste citadin, a peint sur fond noir sa représentation de la ville, comme un dessin à la craie sur un tableau scolaire justement sauf qu’il a choisi d’en couvrir le mut. Mbyaye Diouf accumule des lignes d’écriture jusqu’à saturation rouge ce qui nous fait penser à une ville surpeuplée à étages ou terrasse. Enfin, cette cassette vidée de son contenu, exhibée par Kan-Si, mais où se profile le nom d’un instrument traditionnel de musique, pourrait signifier que partir à la conquête du monde nous enrichit au moins autant qu’elle nous fait oublier nos racines et les archétypes qui nous ont formés. On est bien encore et toujours, dans le dilemme. Et aussi dans l’espoir puisque le xalam pourrait tout aussi bien conquérir le monde…
BTN