Certes cette artiste-peintre originaire de Valencia voit son œuvre irriguée par la pensée de trois philosophes au féminin : Hannah Arendt, Maria Zambrano et notre Simone Weil, pas la ministre, l’autre, mystique et résistante. Cela lui permet de donner une orientation à son travail. Il ne faudrait pas toutefois que l’arbre des références cache la forêt des toiles peintes et que le discours présentatif s’épuise à retrouver dans les œuvres les fragments de pensée empruntées, de manière subjective à l’œuvre.
Ainsi la peinture de Mery Sales se présente-t-elle comme figurative, très souvent tentée par le réalisme des portraits ou les manquements du paysage. La couleur rouge est privilégiée notamment quand il s’agit d’évoquer les vêtements de travail, en particulier ceux de l’artiste elle-même. Elle fait intervenir la notion cinématographique de hors-champ qui témoigne ainsi de sa volonté d’explorer des territoires laissés pour compte, de rendre visible l’invisible et réciproquement. Un détail montre en tout cas son désir de s’inscrire dans la picturalité, sans doute la première étape de ce hors champ : l’absence fréquente de fond, remplacée par des plages neutres et abstraites. C’est le cas dans cet autoportrait où l’artiste en combinaison de travail se retourne vers l’intrus qui la surprend devant sa toile blanche encore, juste au moment de se mettre au travail. Ou dans ce vêtement posé au sol ici, suspendu ailleurs, livré à lui-même, supposant en hors-champ l’absence de l’artiste de l’atelier (et pourtant présence puisque le vêtement est réellement peint). Ce vêtement, symbole de l’activité laborieuse, elle le fait endosser à d’anonymes parias, dont elle capte, dans une série, le regard, dans un sentiment de fraternité, après tout on n’est pas obligés de ne peindre à leur demande que les puissants. Sans doute aussi pour rechercher la vérité de l’être, dépouillé de son environnement habituel. Mary Sales les fait poser devant un chevalet vierge, ce qui évidemment trouble quelque peu les repères et codes conventionnels. Cela ajoute une dimension réflexive ou spéculative dont on trouverait l’équivalent chez Vélasquez.
L’artiste accorde également une importance évidente à la lumière, notamment quand elle pratique le clair obscur ou quand elle peint la surface maritime agitée et ses écumes. Elle recourt aussi à la technique photographique en focalisant sur le premier plan (dans un portrait en pied de Simone Weil en combattante), de vert vêtue tandis que l’arrière plan demeure dans le flou rouge des compagnons anonymes. De même, elle peint en plan rapproché quelques herbes ou plantes dont l’environnement se perd dans une ambiance floutée, quasi onirique, en se penchant humblement, comme pour des personnes. On a aussi des portraits de mains ou de bras, l’outil principal de la peintre et de l’humain en général, qu’il peigne, travaille ou écrive (des écritures de S.Weil sont aussi reproduites). De petits drames en gros plan, où le regard cherche à fuir, quand il n’est pas pris sur le fait, à l’improviste. Des petits scénarios de l’artiste au travail en quelques scènes progressives autour d’un coussin, face à une toile vierge, l’essentiel se jouant ailleurs, hors-champ, dans l’acte de création. Car c’est bien là le fond du problème. Pourquoi, pour qui créer ? Pour accéder as doute à un peu de vérité sur les êtres et les choses, et soi-même parmi les unes et les autres.
BTN
Jusqu’au 13 juin
Plus d’informations : acentmetresducentredumonde.com
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