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« Les Mille et Une Nuits » version Michael Schønwandt en ouverture du Festival Radio France. Entretien.

11 Juil 2016 | Les interviews

Michael Schønwandt, chef principal de l’opéra national Montpellier Languedoc-Roussillon est un chef réputé. Il a dirigé ces dernières années, à New York au Lincoln Center, à l’Opéra de Paris, au Staatsoper de Wien, au Staatstheater de Stuttgart, Royal Opera London, Royal Opera Copenhague, Montpellier, Concertgebouw d’Amsterdam ou il a monté déjà les deux Shéhérazade qui vont être présentées le 11 juillet prochain au Festival radio France Montpellier Région Languedoc-Roussillon midi Pyrénées (Occitanie).

De nationalité danoise, il promeut bien sûr la musique classique danoise et les compositeurs de l’Europe du nord dont il est l’un des plus grands spécialistes. Il reste fasciné par le répertoire romantique français qu’il entend faire jouer de plus en plus.

Chef charismatique, il emporte par sa lecture distanciée du répertoire, l’adhésion des musiciens et du public.

A Montpellier, il cherche à faire en sorte que les jeunes talents puissent aussi « mettre le pied à l’étrier ». A ce titre, il va permettre aux élèves du conservatoire à rayonnement régional de musique de Montpellier de s’exprimer dans un concert tremplin, le 11 mars prochain.

Au côté de Valérie Chevalier, Michael Schønwandt a besoin du soutien du public et du politique pour poursuivre la rénovation artistique de l’OONM, laquelle est bien engagée malgré des soucis financiers récurrents.

Le chef espère que cette soirée d’ouverture restera dans les annales du festival ; comme celle d’une très grande soirée, laquelle a été préparée méticuleusement par les artistes qui répètent depuis plusieurs semaines.

Ils vont, en plus, vous réserver quelques belles surprises musicales !

Michel Pavloff : déjà jeune chef, on s’est tout de suite intéressé à vous. Vous auriez pu facilement devenir « un chef jet-setteur » ?
Michael Schønwandt : Oui c’est vrai, j’ai été une jeune étoile, mais très vite j’ai su que tout cela n’était pas fait pour moi et qu’il y a un prix à payer pour rester toujours à ce niveau là.
Ce qui m’attire plutôt, c’est le contact humain, notamment celui que l’on peut engager avec un orchestre et avec le public.

Un contrat de confiance ?
Il faut une confiance commune entre les musiciens, le public.et moi-même.
Alors là, on peut exprimer tant de choses. « La musique commence là où les mots s’arrêtent ».
Le chef est aussi celui qui organise le passage dans les deux sens, et non pas  seulement des musiciens vers le public.
C’est cela qui m’intéresse véritablement.

Etes-vous ravi d’être à Montpellier ?
Oh oui, de plus, c’est une ville chargée d’histoire et en même temps, une ville si jeune. 

Vous avez conçu une prochaine saison Symphonique 2016-2017 d’anthologie ! Berlioz-Sibelius-Mozart-Brahms-Mendelssohn-Nielsen-Grieg-Malher-Massenet-Beethoven- Rachmaninov, Stravinsky et des compositeurs moins joués, César Franck, Vincent d’Indy, Ernest Bloch, Britten, Escudero, de Falla, Ginastera…
On a envie de tout aller voir… !
Oui, je suis responsable de la saison Symphonique.
C’est très facile de faire un programme avec toutes les grandes œuvres du répertoire, mais c’est aussi facile de faire une programmation avec des œuvres jamais jouées.
La saison sera un mélange des deux.

Dans le cadre d’une très belle soirée consacrée à la musique nordique (Sibelius-Grieg) dirigée par votre compatriote Thomas Södergård, vous présenterez  une autre version d’Aladdin,  mais celle écrite par C.F.E Horneman, un  compositeur danois (1840-1906).
Tous les contrastes de la lumière nordique seront joués ce soir là.

Alors, justement comment un chef danois voit l’Orient musical ?
(Rires…) j’ai remarqué que pour une bonne partie des français, l’Europe du nord s’arrêtait à Hambourg, au-delà…c’est le grand froid !
Comme vous le savez, il ya une très grande différence entre les suédois et les danois, ou encore avec les finlandais.
Tout cela, s’exprime par la Musique ! 

Comment vous voyez cet Orient Musical à travers Shéhérazade ?
L’idée est de créer des choses obscures, des parfums. De mettre en musique, des mots. « L’Orient, soit comme une image, soit comme une pensée est devenue pour les intelligences, autant que pour les imaginations, une sorte de préoccupation générale » notait Victor Hugo en exergue de ses Orientales.
J’ai trouvé dans les Orientales de Victor Hugo, des pages captivantes et également dans de vieux poèmes chinois, qui donneront à réfléchir. Nous souhaitons créer une atmosphère particulière.
Le programme va être décomposé comme un fil de contes, pour rechercher cette espèce de parfum oriental. On a cherché un fil conducteur qui va nous donner cet Orient raconté par Shéhérazade, comme par exemple, cette Flûte Enchantée, illustrée par un vieux poème chinois, jouée à la flûte que l’on retrouvera dans toutes les autres suites musicales. Lambert Wilson, nous racontera ces histoires.

Les trois poèmes sélectionnés par Ravel dans Shéhérazade seront-ils chantés par un mezzo-soprano ?
Le Festival m’a proposé Karine Deshayes. J’en suis ravi, c’est une voix qui vient du dramatique, mais un mezzo qui peut avoir des aigues comme ceux d’une soprano, tout en ayant un solide médium. On aurait pu le jouer aussi avec un baryton, ce qui aurait pu souligner le côté un peu ambigu de Tristan Klingsor qui était un homosexuel et nous parle d’émotions interdites.
Chanté par un homme, cela peut être encore plus intéressant dans cette obscurité.

Au niveau de l’orchestration des deux Shéhérazade, vous ne changez rien ?

On ne touche pas à l’œuvre ! Il nous faut faire vivre toutes ces émotions, toutes ces couleurs Ravel, Il est tellement génial, mais en même temps si énigmatique ! Mais qui était vraiment Ravel ? On ne le saura jamais il s’est toujours caché derrière un masque.

Aladdin (po dansk, on le prononce comme ala-dine), on aimerait entendre toute la musique de ce ballet. Mais là vous nous donnez seulement que quelques extraits…
On va reprendre l’idée du compositeur en plaçant 4 orchestres qui peuvent jouer en même temps ou simultanément.

Vous allez donc spatialiser l’orchestre ?
Oui, une partie de l’orchestre jouera depuis les coulisses, une autre partie sera dans le public.
Un des orchestres pourra jouer une musique complément différente, sur des tempi différents ou sur d’autres tonalités.

Vous allez donner, ici à Montpellier,  les 15 et 16 décembre prochains, l’une des plus belles Symphonies de Carl Nielsen!
«La Symphonie n°4 « Inextinguible » c’est son chef d’œuvre, bien sûr !

Le public français n’est pas trop familier avec la musique de ce compositeur danois et vous êtes, l’un des plus grands spécialistes …
J’ai donné pour la dernière fois, la 4ème Symphonie à Paris, il ya plus de vingt ans avec l’Orchestre National !
C’est un ouvrage que je porte très fort dans mon cœur et je souhaitais le montrer, ici à Montpellier.

Toutes ses Symphonies sont toutes très belles. Et puis, Nielsen, a écrit deux opéras (Saul & David – Maskarade). Je cite aussi le ballet Pan og Syrinx, de très belles mélodies, une ligne très impressionniste, n’est ce pas ?
Oui, c’est ce qui m’intéresse avec Nielsen. On peut dire que Nielsen est  le seul compositeur au monde qui a pu écrire en même temps des centaines de mélodies populaires (que tous les danois connaissent par cœur depuis leur tendre enfance) et en même temps, il a été le compositeur le plus radical de son temps. Bien plus radical que Stravinsky ou Bartók, à son époque.
Pan og Syrinx est extrêmement moderne pour son temps…. Et en même temps, il a pu écrire des mélodies populaires ! Schubert n’a pas fait cela, ni Mozart, ni Bartók. C’est unique dans l’histoire de la musique !

Nielsen, c’est  l’invention musicale permanente?
Oui, et de plus cela veut dire qu’il pouvait à la fois être populaire et en même temps assez élitiste. Il a combiné en même temps les deux façons d’écrire sa musique.

Justement…vous ne semblez pas vouloir vous-même, être catalogué, comme le promoteur de la musique danoise.
Je ne veux pas être catalogué « chef nationaliste » qui ne jouerait que de la musique des compositeurs danois Gade, Wyse ou Horneman.
Je n’ai pas trop envie d’être étiqueté, mais il faut savoir parler de ses origines, de ses racines, de son histoire.

Vous dirigez le répertoire le plus exigeant: Wozzeck, Lulu, Turandot, pourtant vous vous faites plutôt rare à l’opéra…
Normalement, je dirige une ou deux productions lyriques par an. D’abord, j’essaye de faire «moitié-moitié » et de partager mon travail entre le répertoire Symphonique et l’opéra parce que j’ai besoin de réfléchir, de reprendre de l’énergie et de prendre le temps d’approfondir les œuvres. J’adore me plonger dedans pour trouver de tout petits détails et en faire de grandes lignes !
Je crois aussi que cela est du au fait  que je dispose d’une technique et d’une vision pour les grandes œuvres et que surtout, je ne tombe jamais dans les problèmes techniques des grosses machineries.
Cela ne veut pas dire que Haydn ou Mozart sont des œuvres faciles ! J’ai fait les trois dernières Symphonies de Mozart à Montpellier, la saison passée… A l’opéra de Vienne, Don Giovanni, le Nozze, la flute enchantée. A Paris, j’ai fait Cosi fan Tutte. Mais il est vrai que l’on me demande de faire les œuvres les plus complexes…

Elektra au Corum en 2009 !!! Vous aviez fait un arc musical que l’on n’avait jamais encore trop vu…
Oui, c’est cela, une sonorité ! Il ne s’agit pas de refaire ce que l’on a toujours fait, parce que le Monde change, alors nous aussi, on se doit de donner une nouvelle vision musicale.

On connait bien, Ann Petersen, Stephan Milling, maintenant Elsa Dreisig… Pouvez-vous nous parler d’autres chanteurs danois ?
On a une génération de très grands chanteurs danois, tous formés à l’école du Royal Danish Opera. Stephan Mailing… une basse extraordinaire (Hagen au Festival de Bayreuth 2016) Johan Reuter, un formidable baryton-basse qui fait une très belle carrière internationale (actuellement le rôle titre du Hollandais à l’Opernfestspiele de Munich).
Et aussi Stig Fogh Andersen, Niels Jorgen Riis (Erik et Rodolpho la prochaine saison à Copenhague), la maman d’Elsa Dreisig chante toujours ! (Nella et Cio-Cio à Copenhague et Aarhus).

Vous avez donc à Copenhague, une belle troupe de chanteurs ?
Oui, mais laquelle fonctionne comme une troupe ouverte. Ils ont tous un contrat et par lequel,  ils s’engagent à chanter un spectacle, au moins une fois par an. Ils sont donc libres de faire la carrière qu’ils veulent.

Votre épouse Amalie Malling est une pianiste reconnue !
Très jeune, j’ai pu faire sa connaissance à l’occasion d’un concert que j’ai dirigé à Copenhague et je dois vous l’avouer… je suis d’abord tombé amoureux de la sonorité qu’elle sortait de son piano (rires).
Elle est déjà venue l’année dernière à Montpellier et reviendra cette prochaine saison 2016-2017 jouer à nouveau avec l’orchestre (concert de rentrée  des 10 et 11 septembre dirigé par David Niemann), puis ensuite un concert avec Cyrille Tricoire (concert du 18 février 2017- Sonates et variations pour piano et violoncelle Beethoven-P Rovsing Olsen).

L’année dernière, à Copenhague vous avez dirigé Saul & David de Carl Nielsen. Un très beau DVD vient de sortir chez Dacapo …
C’est une œuvre extrêmement difficile à monter parce que c’est presque un oratorio. La mise en scène de David Pountney a très bien fait de mettre le focus sur le peuple.
Une image très intéressante sur le fait que celui qui chasse pour avoir le pouvoir, finira toujours par être tué par le pouvoir.
J’ai beaucoup travaillé sur la captation audio du DVD. 

Est-ce que vous pensez que Maskarade, l’opéra national danois, peut être joué dans un autre pays, comme en France, par exemple ?
Nous sommes en train de regarder cela pour le faire jouer en France ! L’histoire est basée sur une nouvelle de Ludvig Holberg. Holberg a pu écrire des comédies comme pouvait le faire Molière. C’est le même style, la même façon de jouer la comédie ; aussi, j’estime qu’il est possible de transposer en France, cet ouvrage et de dire le texte danois, en français.
J’ai pu déjà le faire à Covent Garden ou au festival de Bregenz en 2006, avec un beau succès. L’humour danois et français me semblent très proches. On a d’ailleurs pu enregistrer cette production et faire un très beau CD également chez Dacapo.

La suite pour orchestre Aladdin ?
Nielsen a écrit Aladdin pour le Royal Danish Theater et c’était sa plus grande partition (hors opéras, bien sûr).
Le metteur en scène de l’époque Johannès Poulsen  a voulu mettre l’orchestre dans les coulisses,  ce qui a fort déplu à Nielsen qui a pu dire avant la première représentation « vous pouvez jouer Aladdin, mais s’il vous plait, ne mettez pas mon nom sur l’affiche ! ».

A l’origine, ce ballet devait durer plus de 5 heures ?
Oui, il a été coupé, ce qui a encore fâché Nielsen. Du coup, sa musique n’a plus été jouée depuis.
Il y a 8 ans, j’ai pu en faire une version concert …et pour la première fois, depuis sa création, à Copenhague!

Mange talk
Selv tak
Tusind tak !

Propos recueillis par Michel Pavloff

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