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Une sélection du Off d’Avignon par Luis Armengol

17 Juil 2017 | Festivals, Spectacles vivants, Théâtre

Qu’on rouvre les fenêtres !
La Compagnie lyonnaise Anda Jaleo travaille sur les récits de vie, sensible au travail de la mémoire et de sa transmission. Des histoires souvent personnelles, mais dont la portée universelle est évidente. A l’image de ce « Qu’on rouvre les fenêtres » qui évoque l’immigration espagnole en France, nourrie par les témoignages d’enfants et petits enfants d’immigrés. La confrontation générationnelle n’en questionne pas moins efficacement la notion de déracinement en s’aventurant sur un territoire intime où le poétique et le politique se rejoignent. Un intime sans frontières que le titre de la pièce illustre parfaitement. La compagnie tire son nom du « jaleo » qui désigne, dans le vocabulaire du flamenco, l’instant où toutes les voix se mêlent pour se donner la réplique, s’encourager, se soutenir, faisant place à la fête et aux défis orgueilleux face à l’adversité, un antidote à la tristesse. C’est précisément la trame de « Qu’on rouvre les fenêtres », travail choral mêlant texte, musique et danse qui met en scène trois personnages partagés entre déni du passé familial, besoin de se le réapproprier pour mieux se construire, ou évocation tendre d’une histoire révolue et pourtant présente. Si présente. Il faut beaucoup de fraîcheur pour ne pas céder au pathos dans ce « Je me souviens » hispanisant, et les comédiens n’en manquent pas pour nous servir un tonique « jaleo » qui conjugue le passé au présent.
Au Théâtre L’Alizé à 13h30 jusqu’au 30 juillet.

Cour Nord
A ce jour, il n’existe pas de version jazz de l’Internationale, pas à notre connaissance en tout cas. Pas même par Thelonious Monk, pianiste afro-américain pourtant engagé dans les luttes de libération aux quatre coins du monde. Un pianiste que vénère ce fils d’ouvrier, musicien de jazz au sein du groupe local Lokomotiv, dans cette ville du Nord dont la principale usine est menacée de fermeture. Les ouvriers ont cessé le travail, et le père décide de commencer une grève de la faim alors que le mouvement faiblit et que certains ont repris le boulot tandis que patrons et syndicats essaient de trouver un accord acceptable pour les deux parties. Situation tristement banale de toutes ces villes d’un Nord sinistré, dans les bassins miniers ou dans la sidérurgie, avec son cortège de drames sociaux, d’hommes et de familles désemparés, d’amitiés parfois réduites à néant, mais où la solidarité fait aussi surgir ce qu’il y a de meilleur en l’homme. La compagnie Théâtre du Midi, qui défend des textes contemporains, souvent engagés, reprend « Cour Nord » après l’avoir donné dans ce festival Off il y a quelques années. Avec le même succès. Le texte d’Antoine Choplin n’a en effet rien perdu de son actualité et la mise en scène d’Antoine Chalard garde toute son efficacité, servie par trois comédiens qui multiplient les rôles et les personnages, une bonne douzaine au total. Toute une galerie de portraits qui nous plongent dans un univers à la Ken Loach, où la dimension humaine de chaque protagoniste nourrit le sens d’un combat pour la dignité.
Au Théâtre L’Alizé à Avignon à 11h25 jusqu’au 30 juillet.

People what people ?
Le festival d’Avignon c’est aussi de la danse et il y a un lieu privilégié, Les Hivernales, ouvert toute l’année, qui accueille ce qui se fait de mieux en région dans la création contemporaine. On en veut pour preuve le « People what people ? », présenté par la compagnie montpelliéraine Vilcanota dirigée par Bruno Pradet, qui nous embarque instantanément dans un voyage sonore et visuel d’une heure dont l’intensité ne faiblit jamais. Musique électro poussée jusqu’à la transe, les corps s’affrontent, se confrontent, se croisent, se frôlent, se rencontrent pour mieux se séparer, régis par la pulsation obsessionnelle des basses qui exige du corps-machine un engagement total. Sept danseurs et une groupéité qui n’aliène jamais l’individualité, comme autant de rouages d’un moteur destiné à ne jamais s’arrêter puisqu’il semble être en soi sa propre destination. Quelquefois, une musique de fanfare introduit son grain de sable en même temps qu’une note joyeuse. Elle sonne comme un appel à l’harmonie, à la rencontre, avant que la vague sonore ne revienne submerger l’ensemble pour l’entraîner dans sa transe hallucinée. Fascinant.
Au Théâtre Les Hivernales à Avignon, à 20h jusqu’au 19 juillet.

Manger
C’est un des succès du Off depuis plusieurs années, mais on ne résiste pas au plaisir de convier les retardataires à ce spectacle « où le rire du ventre éclaire le cerveau ». C’est qu’en effet, « Manger », de Ludovic Pitorin, « épopée burlesque et musicale au cœur de notre assiette », donne libre cours aux talents de trois comédiens-musiciens aussi éclectiques qu’électriques et nous divertit pour mieux nous faire réfléchir. L’industrie agrochimique en prend pour son grade devant ce tribunal de flagrant délire qui convoque sur le banc des accusés une sacrée association de malfaiteurs : la malbouffe, la société de consommation, l’agriculture productiviste, mais aussi la PAC, les OGM, les élevages hors sol, la maltraitance animale, le réchauffement climatique, le gaspillage alimentaire au nord, la famine au sud. Un drôle de hasard veut que la Cour d’Assises soit fréquemment désignée par le terme familier « Les Assiettes ». Autant dire que le verdict est des plus impitoyables pour les margoulins de la production industrielle envoyés tout droit rôtir en enfer, le spectateur étant simplement condamné à une indigestion de rire.
Au Théâtre L’Alizé à Avignon à 21h15 jusqu’au 29 juillet.

J’ai bien fait ?
Qu’est-ce qu’elle a, qu’est-ce qu’elle dit, qu’est-ce qu’elle fait là celle-là ? Elle a une drôle de tête cette fille-là. Elle, c’est Valentine, professeur de collège en province, qui débarque, sans crier gare et visiblement en vrac, dans l’appartement parisien de son frère. Entre la prof et l’artiste bohème, les retrouvailles sont plutôt électriques, sur fond de milieu familial conflictuel, et l’on échange les premières piques. Jusqu’à ce que la frangine avoue son désarroi : elle vient d’abandonner à eux-mêmes un groupe d’élèves qu’elles avait emmenés dans la capitale pour une visite à la fois culturelle et humanitaire. L’expédition a mal tourné, à cause d’une pseudo-victime que la classe avait pris sous son aile mais qui se révèle être un petit escroc.Derrière le comique de situation, assez irrésistible grâce au jeu des comédiens et au texte de Pauline Salles, qui en assure aussi la mise en scène, cette création du Centre Dramatique de Normandie tient un propos pertinent sur la responsabilité de femme, de mère et de professeur qui agite cette quadragénaire au bord de la crise de nerfs – avec mention excellent. On tient là un spectacle aussi drôlement intelligent qu’intelligemment drôle, servi par une scénographie des plus réussies : un amoncellement de polochons qui n’incite guère au sommeil mais plutôt à la bataille du même nom.
Au Théâtre Gilgamesh Belleville à 17h30 jusqu’au 28 juillet

 

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