Star du nouveau réalisme, Martial Raysse n’a pas toujours été considéré comme un artiste majeur du fait de son revirement vers des techniques picturales ou sculpturales qui n’étaient plus en odeur de sainteté à partir des années 70. Cette présentation d’œuvres récentes voire inédites, , au musée Paul Valéry à Sète jusqu’au 5 novembre, remet les pendules à l’heure et montre combien cet artiste est proche, la patience et le travail en plus, des générations qui redécouvrent avec passion, bonheur et plaisir, la peinture aujourd’hui en France.
Ses tableaux privilégient la figure, humaine principalement, féminine en particulier, puisque la femme est un peu l’allégorie de la peinture. Il aime la saisir en gros plan, au-delà de l’échelle, car Raysse rejette le réalisme au nom de l’inventivité, de la liberté de création et de sa préférence marquée pour le vraisemblable plutôt que pour le véridique. Il cherche alors à interroger le mystère qui se cache derrière la beauté apparente des êtres. Il aime aussi la peindre en pied, au repos, dans des poses d’abandon que l’on retrouve chez les grands maîtres, qu’il s’est appliqué à copier inlassablement. Parfois dans des situations inattendues, flottant dans l’espace, par exemple, le monde à ses pieds, en reine masquée.
Raysse est également attiré par les portraits de groupes, pas faciles à gérer, mais qui lui permettent d’étudier les angoisses et aspirations du monde moderne. Il s’inspire d’un épisode de la guerre, tel qu’il l’a vécue durant son enfance, pour incarner La peur, celle qui ne vous quitte plus. Inversement, il sait parfaitement illustrer la joie d’une fête éclatante, à laquelle couleurs et lumière apportent leur contribution. Ou l’ambiguïté d’un Poisson d’avril, la sévérité d’un jury qui se met en scène. Le second degré est omniprésent, voire la distance ou l’ironie. Il recourt fréquemment à la représentation de vêtements ou éléments du décor en motifs décoratifs et tissus imprimés : cela lui permet de coller à la vie telle qu’elle se présente en formes et couleurs, qu’il observe avec intensité ; de se situer également dans une postérité moderne d’exaltation de la couleur et de soumission à la planéité de la surface. Les tableaux monumentaux sont particulièrement impressionnants, surtout quand ils recourent à la danse macabre, représentent le gouffre que l’humanité refuse de voir sous ses pieds, ou quand ils expérimentent le clair-obscur sous prétexte de traiter Le lever du jour, et son contraire La tombée de la nuit, à interpréter métaphoriquement. L’artiste se veut en effet poète, on a en a des preuves le long des murs, plutôt dans des formes courtes, travaillées, mallarméennes.
Car Raysse est également attiré par le petit format, en peinture et surtout en sculpture, et plus particulièrement par l’assemblage. Le bricolage sans nuance péjorative. Ceci dit, la sculpture proprement dite tient une grande place dans sa production, de grand format, en bronze et acier, qu’elle s’inspire ouvertement de la mythologie, de nos coutumes ou de notre culture en général, telle cette Actéonne qui détourne le mythe, ou encore de sa vision personnelle de l’Histoire, tel ce guerrier à corps noir et tête blanche qui incarne sa conception du mal au présent et éternel. Plus simplement, cet humble pêcheur sétois qui vient offrir le produit de sa pêche à une jeune fille masquée laquelle, entourée de comparses, fait fi de son romantisme sincère. S’il lui arrive de respecter les proportions (Le roi Renaud présentant ses tripes, en papier mâché comme au carnaval de Nice, où il s’est révélé), Raysse aime à concevoir les personnages trapus, à grosse tête et grand pied, toujours dans un refus du réalisme banal. L’exposition est en tout cas très riche et variée. Un puissant autoportrait en contre-plongée rappelle les difficultés qu’a dû traverser le peintre au long de sa carrière : Courage, Martial ! Dans le même ordre d’idée, Pauvre de nous ! le représente dans un environnement familier, se masquant les yeux face aux horreurs du monde, ce qui ne l’empêche pas de consacrer une toile au massacre du Bataclan. Inversement, il rend hommage à Delacroix grâce au duo féminin de Temps couvert à Tanger. Ajoutons que l’on peut également visionner des films de ce peintre décidément très attaché à l’image. Mais avant tout à la peinture de ce qu’elle relève d’un langage universel, outre sa vocation pérenne.
BTN
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