Voilà une exposition quelque peu rétrospective, qui permet de réaliser l’évolution d’un peintre marquant, et qui ajoute au plaisir que peuvent procurer ses œuvres, celui de se sentir impliqué dans cette évolution. Il faut rappeler que François Boisrond est l’un des quatre mousquetaires de la Figuration Libre, et que cette exposition, dans une ville qui s’honore de compter en son giron des artistes aussi prestigieux que sont vite devenus Combas et Di Rosa, permet de concevoir une autre voie pour la figuration, et qu’elle se trouve de ce fait amplement justifiée.
D’autant que Boisrond est souvent descendu en l’île singulière y retrouver ses amis. Le parcours est remarquablement conçu, en six étapes et un atelier, pour nous conduire de tableaux très colorés, stylisés et très marqués à la fois par la bande dessinée et les références populaires, le cinéma à qui il est lié par ses origines familiales ou la signalétique routière du début, vers des toiles très soignées, intimistes et très cultivées des dernières années.
Le rez-de-chaussée sert en fait de base à ceux qui se souviennent du Boisrond des années 80, qui aura contribué à le faire reconnaître, tandis que l’étage est conçu de telle sorte que l’on peut très bien suivre ses préoccupations des décennies suivantes, qu’elles impliquent Godard ou les grandes foires internationales, ses relectures des chefs-d’œuvre (Le Gilles de Watteau en trois versions !) ou des scènes et images de rue (un balayeur, un fourgon…). Boisrond se met, en effet, à multiplier les personnages, la toile en regorge, ce qui l’amène à explorer à la fois les petites dimensions, comme dans certains chefs-d’œuvre du passé et les formats imposants. Il s’intéresse aux publicités urbaines aux sorties de métro de la capitale, lesquelles fonctionnent comme des images dans ses propres images, aux travailleurs de la rue.
Il quitte petit à petit la spontanéité ou la simplicité de ses débuts, quand il ne s’embarrassait pas de perspective ni de détail réaliste et se limitait au portrait, au paysage, à la nature morte dans un style bien identifiable. Ses toiles deviennent grouillantes, répondant au dynamisme qui caractérise la ville. Puis sa palette s’assombrit, se fait tout en nuance. Il recourt assez souvent au flouté, qu’il emprunte à la photo comme d’ailleurs, plus tard, aux arts numériques, bref, il ne s’enferme pas dans un système établi mais approfondit à la fois sa technique, ses motifs, plus « ressemblants », et sa conception de l’image. Celle-ci devient plus complexe, s’enrichit du contact avec la grande peinture (de Titien à Manet en passant par Goya ou Delacroix…). Conscient de l’aspect à la fois mercantile et social de l’art contemporain, il en étudie le contexte, les musées, les rituels d’accrochage, les vernissages, les grandes foires élitistes, et renvoie dès lors, au milieu dans lequel il évolue, une image d’elle-même à travers la vision subjective que s’en fait l’un de ces membres. Il recourt à ses intimes ou à lui-même pour revisiter l’Histoire de l’art. Il a souvent intégré l’écran, notamment de télévision et apprécie tout ce qui est spéculatif comme chez Velázquez. Ainsi consacre-t-il l’une de ses séries les plus riches au film Passion de Godard (son épouse y a joué un rôle), ce dernier ayant cherché à fixer face à la caméra des reconstitutions vivantes de scènes célèbres, d’Ingres notamment. Ainsi l’œuvre de Boisrond suppose-t-elle une expérience préalable du réel, qu’elle émane des outils visuels de son temps ou de la vision de ses glorieux ainés, ce qui lui a permis de tracer son parcours singulier dans l’histoire de la peinture. Boisrond n’hésite pas à recréer à sa manière la vie des saints, à vêtir ses proches d’uniformes et à composer des scènes christiques dans la plus pure tradition du clair-obscur (Caravage ou Rembrandt). Lui-même se peint en Saint-François. C’est un peu comme s’il disait au spectateur : vous avez été attirés par mes premiers travaux qui s’adressaient à vous directement, telle une signalétique qui vous était familière, eh bien je vous invite maintenant à faire un voyage qui vous conduira justement au cœur de la Peinture telle que je l’ai découverte grâce à la confiance immédiate que vous m’avez octroyée. Pas étonnant que le spectateur se sente concerné, ou mieux, privilégié.
NB : La Pop Galerie, à Sète, complète cette rétrospective en présentant tout un mur de dessins et estampes. 130 petits formats qui forment comme un écran de pixels parmi lesquels se balader parmi les diverses époques de l’artiste. On y reconnaît pas mal d’études de bustes antiques mêlés à des sujets plus modernes, ou à des œuvres plus méditatives, et certaines renvoyant aux origines du succès, dans les années 80. Quarante années de production à embrasser d’un seul coup d’œil, avant d’aller y voir de plus près. De l’ensemble au détail.
BTN
Plus d’informations : museepaulvalery-sete.fr