S’il est un lieu auquel il faut impérativement faire une visite, à quelques semaines de l’hiver, c’est bien le Mrac de Sérignan, toujours sur la brèche. Outre ses incontournables collections, remodelées en janvier, on peut y voir une sorte de mini-rétrospective d’œuvres majeures du duo d’archéologues-architectes-artistes, Anne et Patrick Poirier et une époustouflante scénographie mi-grotte mi-aquarium, de Laurent Le Deunff.
Les premiers ne cachent pas leur intérêt pour l’Antiquité, qu’il s’agisse de leur séjour à la romaine villa Médicis, de leur visite de Palmyre ou de leur séjour en Sicile. L’exposition démarre sur une interminable voie des ruines noires, plongée dans la pénombre, et d’une série de papiers froissés assortis d’inscriptions à la feuille d’or, comme sauvés de l’incendie néronien. La maquette de ce Domus Aurea est impressionnante de précision et suppose patience et méticulosité. On est ainsi mis en appétit avant que ne s’amorce la rétrospective avec la série des dix Hermès mis en stèles, où des sculptures sont modelées par du papier et constituent une série d’empreintes à conserver pieusement comme témoignage d’un passé si fragile. Une suite plus tardive, consacrée à une fontaine morte, en trois temps progressifs, complète cette production. Près de là, l’une des premières œuvres des Poirier, un reliquaire formé d’empreintes de deux profils sur un tapis de paille. De l’autre côté, une valise voyageuse, symbolisant le statut du duo, débordante de cartes postales, et une série de photos ironiques rehaussées à l’encre standard, de touristes posant devant un temple sicilien de Selinunte. Plus des souvenirs de Rome et aussi de Palmyre, sur des photos, dont le traitement à l’encre rouge interroge et inquiète. Comme souvent, chez les Poirier, des vitrines le long des murs proposent documents et carnets, en un certain ordre assemblés. On change de pièce pour se trouver confronté au chef-d’œuvre absolu qu’est leur reconstitution de l’Ostia antica, en terre cuite, dès 1972. Une douzaine de mètres de long sur presque six de large. Le travail a doublement à voir avec la mémoire, « en filigrane », puisque à la restitution d’un souvenir s’ajoute la pérennisation d’un modèle architectural témoignant d’une civilisation – laquelle comme chacun sait depuis Valéry, est mortelle. Nous ne sommes pourtant pas au bout de nos surprises avec ce tapis plus récent en noir et blanc, inspiré d’une vue aérienne, de Palmyre débondant du mur au sol et se précisant selon le point de vue. En face, une magistrale archéologie du futur, plus aérienne encore, à la peinture blanche acrylique, avec ses motifs géométriques. Puis c’est la salle réservée au Purgatoire de Dante, où les Poirier retrouvent leur talent de dessinateurs d’antan. Une époustouflante plongée haute en couleur dans la Divine Comédie, où se mêlent des références picturales, des scènes violentes et des clins d’œil aux esthétiques modernes. Une manière de gérer ce nouveau purgatoire : le confinement. Enfin, l’ultime salle baignée de lumière bleuâtre, avec des noms de Pléiade, la constellation de néons au mur, en laquelle semble flotter, sur un tapis de plumes, une immense croix de fer penchée vers le sol. En creux, des empreintes de motifs antiques, constituant un croisement de cultures, et le clou final, si je puis dire, de cette exposition.
Mais nous n’en avons pas fini : au rez-de-chaussée, transformé en sous-sol, Laurent Le Deunff réserve bien des surprises avec son Prehistoric Past, en hommage à Chaplin. Il a tout simplement imaginé le musée de la Préhistoire conçu par un artiste d’aujourd’hui. Ainsi a-t-il confectionné une véritable grotte de carton pâte, avec stalactites et recoins, où sont abrités quelques fleurons d’une improbable collection comprenant dans l’infiniment modeste des chewing-gums en os sculptés, un phallus double en bois de cerf ou une série de têtes de serpents en terres cuites. Comme on le voit les matériaux et la technique sont en accord avec la période visée. Un peu plus grands, un cerveau en peuplier, un plat terrier à vers en chêne, une galerie de taupes en bronze, des sapins à chats… Carrément gigantesques : une massue en ciment type rocaille, érigée sur un socle circulaire, un coquillage en papier mâche posé sur une table de métal, un étalage de neuf fausses pierres plus vraies que nature et, au mur, deux immenses colliers de dents. On le voit ce sont surtout le minéral et l’animal qui sont sollicités. Manquait le végétal, présent grâce à trois fabuleux tirages pigmentaires représentant des paysages argentés, avec champignons d’espèces diverses, nous plongeant dans le monde souterrain. Dans la deuxième salle, devant une tapisserie des mêmes champignons, posés sur du gravier, un certain nombre d’animaux totems : un castor, juché sur un bois de chêne rongé, incarnation de l’artiste ; une tête de crocodile et des nœuds de trompes d’éléphants autour d’un tronc de ciment. Enfin, une série de dessins au crayon sur papier, de chats, dans des positions diverses, empruntées à des ateliers d’amis artistes.
Les deux expositions s’articulent autour du thème de la mémoire et de l’immémorial et aussi de cette préhistoire encore inconnue qui précède notre Antiquité, si prégnante encore dans nos références et notre art de vivre. Une expo didactique et plaisante.
BTN
Plus d’informations : mrac.laregion.fr