Kamikazes
L’art du kamikaze procède de l’éradication systématique de l’adversaire, ou supposé tel, au prix de sa vie. On peut dire des personnages de la pièce de Stéphane Guérin, lequel a lu Jarry et Ionesco, qu’ils sont représentatifs de l’espèce, avec pour arme létale le langage qui projette des shrapnels de mots direct dans la chair des victimes. Afin d’atomiser l’autre en même temps que les conventions sociales, de faire exploser les non-dits avec la même facilité qu’on ouvre une bouteille de champagne, dans le même bruit sec et en arrosant un maximum de personnes.
On est chez Hélène, en plein préparatifs d’un repas qui rassemble un clan de sept personnes : le mari, les enfants et alliés, puis quelques amis. L’ambiance est délétère, la soirée prend vite la tournure d’une cène apocalyptique, dont l’étymologie est ici des plus justifiées puisqu’apocalypse signifie révélation. Passe-moi le fiel. On renverse la table, on avoue, on accuse, on se cuisine, dans un grand déballage qui n’épargne rien ni personne, avec une brutalité désespérée. Reproches, jalousies, désirs inavoués, deuil et culpabilité, ça gratte là où ça démange, ça s’écorche vif, ça taille dans la bidoche d’une condition humaine en plein naufrage. Au plus près de l’os.
Festen à la sauce bobo jugeront certains, mais en tout cas une pièce bougrement efficace. On applaudit au massacre, tellement le texte est brillant, l’interprétation brûlante, au maximum de l’engagement de chaque comédien simultanément bourreau et victime. Feu roulant de répliques qui ne s’enrayent jamais, mise en scène convulsive d’Anne Bouvier, Kamikazes ne tire pas à blanc, on ne sait jamais d’où va venir la prochaine rafale. Dévastateur autant que dévasté jusqu’à la scène finale, entre Piétà et Radeau de la Méduse, qui montre tous les protagonistes raides morts à l’exception de la maîtresse des lieux.
Avec sa métaphysique de l’abîme, Kamikazes emprunte au surréalisme, au Dadaïsme autant qu’au théâtre de l’absurde. Son esthétique de la catastrophe rappelle également le Théâtre Panique de Topor et autres Copi, avec un rire outrancier et outrageant, loufoque et sincère qui plonge la tête la première dans les ténèbres humaines en hurlant à la mort et à l’amour.
Buffon à 21h30 jusqu’au 29 juillet. Et aussi…
Adieu Monsieur Haffmann
Avec ses 6 nominations aux Molières 2018, la pièce de Jean-Philippe Daguerre fait un carton dans le Off. Plaisir garanti, avec une excellente distribution pour raconter l’histoire d’un bijoutier juif sous l’occupation, contraint de confier son commerce à son employé. Lequel va accepter de le cacher dans la cave en lui demandant en échange de faire un enfant à sa femme car il est stérile. La pièce parle d’amour, de courage et de peur, de la responsabilité des hommes et des femmes devant l’histoire, la grande comme celle de leur vie. Les comédiens sont à la hauteur des personnages de l’intrigue : beaux et généreux.
Roi René à 11h jusqu’au 29 juillet.
Suite Française
Dans un village de Bourgogne sous l’occupation allemande, une grande bourgeoise, dont le fils est prisonnier en Allemagne se soit contrainte d’accueillir un officier nazi. Une intrigue amoureuse se noue entre celui-ci et la belle-fille, chaque personnage du roman d’Irène Némirovsky révélant peu à peu ses fêlures, ses contradictions, ses faiblesses et ses grandeurs. Le destin d’Irène Némirovsky, arrêtée en 1942 et morte en déportation la même année, donne sa dimension tragique à cette Suite Française où l’Histoire, avec sa grande Hache comme écrivait Pérec, confronte les êtres à des choix déchirants.
Le Balcon à 19h jusqu’au 28 juillet.
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