Midi nous le dira
Najda de onze à douze, une heure dans la vie d’une jeune fille de 18 ans. Mais une heure capitale car elle attend la nouvelle la plus importante de sa vie jusque-là : fera-t-elle partie de l’équipe de France Espoirs de football pour la prochaine compétition internationale qui doit se dérouler dans plusieurs stades de Bretagne, notamment dans celui de Saint-Malo, club d’origine et ville où elle vit ? En attendant de connaître la décision de la Commission de sélection, à midi tapant, la Najda Kermarrec d’aujourd’hui adresse dans le cloud un message filmé avec son téléphone à son double virtuel, la Najda qu’elle sera dans 10 ans. Une « capsule temporelle », comme une bouteille à la mer où elle fourre, un peu en vrac, ses espoirs, ses attentes et cet amour dévorant pour un sport qu’elle vit de manière absolue, quasi monomaniaque. Elle raconte son coup de foudre, son premier contact avec le ballon à l’âge de six ans, elle l’absorbe, elle l’intègre comme « un organe que je m’ignorais et découvre d’un coup / si précieux / si puissant / c’est le cœur que je n’avais pas. » Elle confie aussi les doutes de son entourage et les préjugés qui veulent qu’une fille ça ne joue pas au foot. A part sa grand-mère qui la soutient, se souvenant de sa propre mère éprise de course à pied et qui partait en cachette courir dans le désert. Najda se saisit du témoin, le mot est juste, de cette insoumission, le relais s‘effectue entre elle et son arrière-grand-mère. La revendication féministe, le droit d’être soi-même, est un parcours semé d’obstacles.
Lison Pennec joue le rôle de Najda, avec une générosité dans l’engagement physique que la comédienne, formée à l’école Charles Dullin puis à l’Ensatt, sait moduler pour laisser entrevoir les nuances et les couleurs qui font la richesse de son personnage. Il faut saluer cette comédienne en même temps que le texte écrit par Joséphine Chaffrin qui met en scène « Midi nous le dira » avec Clément Carabédian, créateurs tous deux de la compagnie Superlune en Saône et Loire. Un véritable texte d’auteur qui dribble les formules convenues et les clichés pour transmettre l’énergie brute du personnage si emblématique de la jeunesse d’aujourd’hui, sa verve, sa fougue et ce côté un peu mal foutu de grande ado en quête d’identité. On est conquis.
L.A.
Midi nous le dira au Train Bleu à 20h15 jusqu’au 26 juillet, relâche le 20 juillet. 04 90 82 39 06
Terreur
Peut-on tuer 164 personnes pour en sauver 70 000 autres ? C’est la question que pose Terreur, pièce de l’auteur contemporain allemand Ferdinand von Schirach mise en scène par la compagnie Hercub’. Une compagnie qui questionne les violences contemporaines et dont on avait vu, lors d’un festival précédent, l’excellent Espace Vital, œuvre de politique-fiction, Leur nouvelle création revêt les formes d’un procès qui transforme les spectateurs en jurés, accueillis avant même d’entrer dans la salle par un président de Cour d’Assises. Informés de leurs droits et de leurs devoirs à même le trottoir, ils pénètrent ensuite dans le théâtre, de façon un peu plus solennelle que d’habitude, munis d’un dé blanc pour décider du sort – acquittée ou condamnée – d’une jeune femme en costume de pilote de l’air assise dans le box des accusés. Il s’agit de Laura Koch, pilote de chasse de l’armée allemande, jugée pour avoir abattu un avion civil détourné par des terroristes qui voulaient s’écraser sur un stade de football bondé de Munich. Elle avait pourtant reçu l’ordre de sa hiérarchie de ne pas tirer, mais elle a désobéi. D’où ce procès, avec président du tribunal, procureur public, avocat de la défense, greffier et partie civile (la femme d’un passager) qui interviennent à tour de rôle dans les débats. Le commandant Koch avait-elle le droit de sacrifier la vie des passagers et des membres de l’équipage au nom du moindre mal , du moindre nombre ? Les juges rappellent la mise en garde à ce sujet de la loi constitutionnelle condamnant un tel acte, mais l’accusée se défend de son droit de choisir et de l’urgence de la décision. Mais pourquoi ne pas avoir fait simplement évacuer le stade, alors qu’il restait du temps pour le faire puisqu’une heure s’est écoulée entre le premier message d’alerte de l’équipage et l’attaque? C’est ce que demandent les juges à la hiérarchie militaire, sans aucune réponse de celle-ci. On suit les débats avec un intérêt soutenu, tant pour la forme – celle d’un faux-vrai procès – que pour le fond, puisque la pièce interroge la question de la menace terroriste dans le quotidien de nos vies. Pas de quatrième mur ici, juges et avocats s’adressent directement au public sollicité pour émettre un verdict final. Qui s’avèrera, sans grande surprise, celui de l’acquittement à une grande majorité. En même temps qu’un des problèmes majeurs de nos sociétés modernes, le terrorisme, Terreur interroge également notre capacité à juger du bien et du mal, tout comme les valeurs qui nous structurent et leur étanchéité aux émotions et aux instincts. Il est parfois plus facile d’être dans la peau d’un juge que d’un juré, c’est peut-être la morale que nous laisse ce spectacle mené habilement par un équipage de comédiens qui connaît bien son plan de vol.
L.A.
Terreur au 11 Avignon à 20h05 jusqu’au 29 juillet, relâche les 19 et 26. 04 84 51 20 10
Délicieuse(s)
Celle qui raconte est une femme blessée : « Du jour au lendemain, on m’a arraché mon éternel. » Elle parle à l’homme qu’elle aime et qui veut la quitter pour une autre. Elle dit les mots du mensonge, de l’aveu, du chagrin et de la pitié en arpentant la scène et sa solitude, tandis qu’un écran projette derrière elle des images lancinantes qui semblent vouloir remuer le fer dans la plaie, continuum dramatique. Elle va s’épancher sur les réseaux sociaux, juste « pour faire partie de la grande famille de ceux qui s’en vont vomir leur petitesse ou leur grande mythologie personnelle sur des millions d’écrans. » Elle vide son sac, au rythme des likes et des partages, prête à tout pour que cet amour ne lui échappe pas, jusqu’au bout, jusqu’au drame final. Amour à mort. Derrière le prosaïsme des mots, la tragédie couve à petit feu, monstrueuse comme ce repas que la folie meurtrière mitonne en dénouement. Un beau travail de mise en scène et l’interprétation d’Agnès Audiffren, adaptatrice du roman de Marie Neuser, hantée par le récit qu’elle en restitue, rendent palpables les convulsions d’âme du personnage. Une femme qui plonge la tête la première dans les abysses de la passion pour y chercher une lumière qui n’existe plus, comme celle des étoiles mortes. Plongée accompagnée sur scène par trois musiciennes qui prennent le relais des mots quand ceux-ci s’avèrent inopérants. Si vous l’aimez noir et bien serré, allez voir Délicieuse(s).
L.A.
Délicieuse(s) au Théâtre du Balcon à 17h25 jusqu’au 30 juillet, relâche le mardi. 04 90 85 00 80