La 76ᵉ édition du Festival d’Avignon bat son plein ! Retrouvez sur notre site, notre sélection du Off (du 7 au 30 juillet) et les spectacles du In (jusqu’au 26 juillet) pendant la durée du festival.
Je vous écris dans le noir
Elle est libre Pauline, dans ce hamac au bord de la mer, bercée par le clapotis des eaux d’Essaouira et les cris des mouettes, elle peut désormais rêver d’une nouvelle vie, d’un autre amour avec un homme qui lui a fait reprendre goût aux caresses et croire qu’elle aussi a droit au bonheur. Mais le destin ressemble rarement à une plage tranquille où l’on peut enfin goûter une paix bien méritée.
C’est sur cette image presque idyllique que s’ouvre, comme on ouvre la première page d’un livre, Je vous écris dans le noir qui relate le destin de Pauline Dubuisson, contre laquelle fut demandée la peine de mort en 1953 pour avoir tué son amant, sentence muée en une peine de prison à perpétuité, puis libérée neuf ans plus tard. Cette première réquisition de condamnation à mort d’une femme en France rendit l’affaire célèbre et inspira même à Clouzot son film La Vérité avec Brigitte Bardot. On ne compte plus les surnoms dont l’affublèrent les journaux : « Ange du mal », « mortelle séductrice » ou « orgueilleuse sanguinaire ». Les époques se fabriquent des monstres pour conjurer les peurs : cette belle jeune femme ambitieuse faisait bien l’affaire, elle qui fut tondue à la Libération pour avoir couché à 15 ans avec un officier allemand, elle qui voulut terminer ses études de médecine contre vents et marées et dont les conquêtes masculines suscitèrent dans l’opinion publique autant d’envie que de réprobation. Trop libre pour son époque.
« Je m’appelle Pauline Dubuisson et j’ai tué un homme, mais personne ne naît assassin », c’est ainsi qu’elle se présente à nous, si forte et sincère dans sa fragilité, sa quête du bonheur, son entêtement à vivre malgré tout. À la fois légère dans ses désirs simples et hiératique dans sa dignité. Pauline Dubuisson se suicidera à 37 ans à Essaouira où elle s’était réfugiée pour fuir un passé qui finit par la rattraper.
Sylvie Van Cleven et Gilles Nicolas portent aujourd’hui à la scène le beau livre que Jean-Luc Seigle a consacré à ce fait-divers dramatique, état des lieux d’une société, comme tout fait-divers, si anecdotique soit-il en apparence, qui devient objet d’anthropologie dès lors qu’on veut y consacrer un peu d’attention. Dans le rôle de l’héroïne de cette histoire, Sylvie Van Cleven est simplement bouleversante.
Présence Pasteur à 20h05 jusqu’au 29 juillet.
L.A.
Faut-il laisser les vieux pères manger seuls aux comptoirs des bars
Ils se font face dans de ce qui pourrait figurer une partie d’intérieur bourgeois mais qui vite s’apparente à une cage où deux adversaires se livrent combat. Lui, le vieux père, trimballant à l’évidence une bouille contrite et des années de culpabilité ; elle, la fille, toutes griffes dehors, ressentiments affûtés. Ils ne se sont pas vus depuis la mort de la mère, il y a plus de dix ans, et le voilà qui débarque d’un coup chez elle, menaçant un équilibre psychique durement acquis. Accueil glacé, ils s’affrontent du regard et de la parole, difficile à advenir, vertigineuse comme un bord de falaise, et la machine commence à tourner, celle qui veut que le linge sale se lave en famille. Pas question pour elle de lui faire à manger ou de l’héberger pour la nuit. Alors ils vont boire, comme des vieux ennemis, entre deux descentes du père au bar du coin de la rue et une visite de l’amant du moment, finalement pas épargné lui non plus malgré sa volonté de neutralité.
Ce petit règlement de compte familial pourrait vite tourner à la banalité, mais il s’avance ici dans le drame quand le père annonce à sa fille qu’il est malade et lui demande d’abréger ses souffrances en lui administrant des substances aux effets mortels. Tuer le père, on y est. Elle qui rêve depuis longtemps de le faire, pour se venger de la maltraitance physique subie durant l’enfance, ne veut pas s’y résoudre. Trop facile, ce serait lui accorder un pardon qu’elle ne veut à aucun prix lui délivrer. Alors ils parlent, les mots s’écoulent comme du mauvais vin, charriant des souvenirs familiaux aigris par le temps, pour aller jusqu’au bout de la nuit, des cauchemars d’une enfant devenue femme, jusqu’au dénouement final, catharsis attendue dont il serait dommage de révéler ici les détails.
Carole Thibaut met en scène et joue le rôle de la fille aux côtés d’Olivier Perrier et de Jacques Descorde. Resserrée, comme on le dit d’un boxeur qui resserre sa garde, la scénographie met face à face les protagonistes d’un huis-clos dont la touffeur familiale n’est pas sans évoquer les drames de Lars Noren, dont l’autrice revendique la filiation, avec ses déballages en apparence domestiques mais qui, finalement, disent l’essentiel de nos conditions d’humains.
Jusqu’au 26 juillet à 17h30 au Conservatoire d’Avignon
L.A.