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Sélection du Off d’Avignon par Luis Armengol

10 Juil 2017 | Festivals, Spectacles vivants, Théâtre

Esperanza

Un rafiot nommé espoir, celui de ces hommes à bord d’une embarcation fragile, l’Esperanza, qui fait cap vers Lampedusa, cap vers la liberté. Un groupe de migrants comme il en arrive tous les jours sur l’île italienne devenue le symbole de la tragédie moderne qui se joue en Méditerranée.

Un bateau qui tangue et qui prend l’eau, sept hommes et une femme, mais ils sont tout un  peuple, celui des migrants, qui fuient la misère, la guerre, l’oppression de régimes corrompus. Ici, il s’agit d’Algériens dans les années de plomb de la décennie 90 auxquelles fait référence la pièce d’Aziz Chouaki mise en scène par Hovnatan Avédikian. Ceux-là ont choisi de tenter leur chance pour redémarrer leur vie sous d’autres cieux. Esperanza résonne comme un cri de désespoir et d’espoir. Aucun pathos dans ce spectacle qui fait entendre une langue de résistance, populaire et savante, une langue de lutte qui donne une identité, un visage, aux huit protagonistes embarqués dans la périlleuse équipée, les extirpant de la morbide statistique comme on aide un homme à sortir la tête de l’eau. Un beau collectif de comédiens,véritable addition d’individualités qui émergent à tour de rôle, est à bord de l’Esperanza pour nous faire vibrer à chaque péripétie de ce voyage au bout de l’espoir.

Un spectacle nécessaire, à voir absolument.

Esperanza au Théâtre des Halles à Avignon à 17h jusqu’au 29 juillet.

Dans un canard

C’est un gars ordinaire, avec un quotidien ordinaire, une vie de famille ordinaire, un travail ordinaire, stagiaire depuis trois ans dans le centre d’appels qui l’emploie. Tout allait bien pour Donald Leblanc, l’homme qui dit toujours oui,jusqu’au jour où il croise le chemin de son ancien patron mis au placard par les nouveaux dirigeants, puis acculé au suicide. Leblanc se retrouve alors au centre d’une stratégie de communication qui va le propulser vers le sommet…avant de redescendre l’ascenseur social aussi vite qu’il était monté.

C’est la chute finale, groupons nous et demain…

On s’amuse beaucoup au spectacle de ces choses graves qu’aborde avec un humour féroce la pièce de Jean-Daniel Magnin « Dans un canard »  jouée au Théâtre des Halles par un formidable quatuor de comédiens où émerge la personnalité de Quentin Baillot qui interprète le personnage de Leblanc, idiot utile transformé en homme providentiel puis en victime expiatoire.

La comédie se déroule au pas de course, time is money, pointant les dérives du monde du travail comme on tire à la carabine sur les pipes à la fête du village : tyrannie de la performance, souffrance au travail, suicide des cadres. Une farce loufoque dont la charge comique démonte les rouages d’un univers aussi pitoyable qu’impitoyable.

Dans un canard au Théâtre des Halles à Avignon à 14h jusqu’au 29 juillet.

Le Dîner

Prince des catastrophes domestiques et des enfers conjugaux, le romancier Eric Reinhardt décrit comme personne les abîmes intimes qui sont le lot de la condition humaine. « Le dîner », mis en scène par Jean-Michel Guérin et Patrice Thibaud, est l’adaptation d’un épisode du roman « Cendrillon » dans lequel l’auteur croise de multiples personnages qui ne sont que ses avatars, au sens de doubles, en trader ou en tueur, entre fiction et réalité. Reinhardt déroule le fil complexe, et complexé, des existences marquées par les angoisses familiales et les humiliations. Un jour, il avoue : « Je suis entré dans l’âge adulte avec la peur de la vie, la peur de l’échec, la peur du monde extérieur. »

L’histoire du Dîner : un cadre moyen, à la veille d’une promotion, décide d’inviter son patron et l’épouse de celui-ci à dîner. Il commence par l’acquisition d’une nouvelle et coûteuse voiture qui lui permettra de briller devant son supérieur hiérarchique, tandis que sa femme s’affaire à la préparation d’un menu de gala, dans la petite maison de ce lotissement haut de gamme réservé aux cadres. Tout roule, mais un imprévu va ruiner cette belle architecture : le cadre rate la sortie d’autoroute, embarque avec lui son patron qui le suivait, et la belle soirée finira très mal, dans une ambiance qui n’est pas sans rappeler « La noce chez les petits bourgeois » de Bertold Brecht.

Sur scène, Fabien Joubert et Gisèle Torterolo composent ce couple de Français moyens avides de promotion sociale avec un réalisme flamboyant, dans un comique de situations qui n’est pas sans évoquer celui de certaines comédies françaises, seulement les meilleures, où le pire est toujours à venir. Le duo est irrésistible de drôlerie, le plat le plus savoureux de ce dîner fichu restant le texte de Reinhardt que Fabien Joubert décortique, goûte du bout des lèvres, machouille, avale et régurgite avec l’aplomb de celui qui a son rond de serviette à l’auberge de l’absurde. Un spectacle roboratif qui convient à tous les appétits théâtraux.

Luis Armengol

« Le Dîner » à la Caserne des Pompiers à Avignon à 20h15 jusqu’au 23 juillet.

 

 

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