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Sélection du Off Avignon par Luis Armengol

25 Juil 2019 | Festivals, Spectacles vivants, Théâtre

Cyrano(s)
Encore un Cyrano dans le festival, me direz-vous ? Non, plusieurs ! Ils sont cinq en effet à se disputer l’honorable et célèbre appendice du héros d’Edmond Rostand, dont une femme qui n’est pas la moins fine lame. Les bien nommés Moutons Noirs aiment les classiques (L’Avare, Ruy Blas, Macbeth entre autres) d’une façon qui ne l’est pas du tout. C’est leur botte secrète, leur marque de fabrique, et à la fin de l’envoi, ils touchent en plein cœur. Ce cœur généreux qu’on entend battre tout au long de cette pièce, celui d’un Cyrano amoureux de Roxane qui aime Christian auquel le mousquetaire gascon va prêter ses talents oratoires pour conquérir la belle, on connaît la suite. Beauté du corps et beauté de l’esprit, entre les deux Roxane a choisi, ce sont les mots dont elle est amoureuse, finissant par découvrir, mais un peu tard, que cet ami fidèle en était l’auteur. Il y a des acteurs formidables sur la scène de la chapelle du Roi René, un lieu qui porte les stigmates du passage du temps, ses murs sont lézardés comme des cicatrices sur le corps, mais il résiste admirablement, à l’image de l’increvable héros de Rostand. Les comédiens jouent Cyrano à tour de rôle, s’affublent de son nez, de ses états d’âme, de son vague à lame. Chacun apporte une nuance, une tonalité, nous découvre une facette du personnage, on a envie de les citer tous tant ils ont du talent : Pauline Pasolini, Roland Bruit, Axel Drhey, Yannick Laubin et Bertrand Saunier qui forment un vrai groupe. Bourré de trouvailles scéniques, ce Cyrano(s) joué à folle allure a une allure folle et ne faiblit jamais. Il tient la comédie héroïque à la pointe de son épée, l’amène au bord du drame métaphysique, de la folie peut-être, avant de la relâcher dans un éclat de rire. Magnanime, superbe, tendre et passionné à l’image de son héros. Admirable Cyrano(s).
Chapelle du Roi René à 15h35 jusqu’au 28 juillet

On est sauvage comme on peut
Il commençait pourtant bien ce repas entre amis. Thomas et Léa avaient mis les petits plats dans les grands pour recevoir Marie et Antoine ainsi qu’un cinquième larron dont on ne saura jamais rien, sauf qu’il joue du clavecin et de l’accordéon. La cuisine sentait si bon que même les spectateurs en entrant poussaient des huumnn… envieux. Oui, mais ça c’était avant. Avant que la soirée parte en eau de boudin, pour rester dans la métaphore culinaire, avant qu’on se chamaille sur la différence entre pingouins et manchots, et puis qu’à tour de rôle chaque convive mette les pieds dans le plat dans un grand déballage. En un mot, se mette à table. Alors que ce gentil monde échangeait jusque-là des banalités d’usage, comme lors de tout repas entre amis, prenant le public à témoin, ce qui ajoutait au climat étrange de la pièce, voilà que le maître des lieux Thomas se lève, annonce sa mort et demande à sa femme de le manger. Stupeur et tremblement, moment de bascule irréversible. Il n’en faut pas plus, mais c’est déjà pas mal, pour faire craquer le vernis des bonnes manières et convoquer sur scène une sauvagerie jubilatoire proche du grand Guignol. Tout ce gentil monde va alors donner libre cours à ses instincts dans un hallucinant déferlement de situations qui convoquent sur scène un absurde sans limites. Le collectif Greta Koetz, fraîchement sorti de l’ESAC-Conservatoire de Liège, s’engage à fond dans ce jeu de massacre des conventions, avec des performances d’acteur inénarrables comme quand une invitée engloutit un saladier entier de pâte qu’elle régurgite en maintenant une banale conversation. Il faut d’ailleurs saluer les belles personnalités des comédiens qui s’expriment tout au long du spectacle. Une histoire folle de cannibalisme mondain, métaphore d’un monde bouffé par les conventions sociales, qui nous interroge sur notre capacité à rompre avec le politiquement correct et à plonger tête la première dans un grand bain d’absurde, imprévisible et inédit. « De l’homme à l’homme vrai, le chemin passe par l’homme fou », dit Michel Foucault. C’est fou comme c’est vrai, lui répond en écho cette pièce.
Théâtre des Doms à 19h40 jusqu’au 27 juillet.

Hernani ! Brigand de la pensée
La bataille d’Hernani, restée dans les annales des mouvements d’art, est le nom donné aux chahuts déclenchés en 1830 par les représentations de la pièce « Hernani », drame romantique de Victor Hugo. Ses motivations, autant politiques qu’esthétiques, opposèrent les partisans des conventions théâtrales classiques et la nouvelle génération des Romantiques regroupée autour d’Hugo qui prônait une révolution de l’art dramatique. Dans la pièce, un seigneur devenu brigand se bat pour son honneur, son amour et sa liberté. Comment représenter aujourd’hui ce monument à la fois historique et théâtral ? La compagnie Grand Théâtre s’est appuyée sur les cinq actes de la pièce en imaginant cinq tableaux qui les représentent, depuis un salon ministériel où l’on saisit le contexte politique de cette œuvre jusqu’au jour de la première, à la fois dans la salle et dans les coulisses. Il faut avoir les épaules larges pour un tel parti-pris théâtral. Trois comédiens d’envergure, Jean Barlerin, Odile Ernoult et Etienne Luneau donnent vie aux personnages d’Hernani, passant avec verve et panache du langage ordinaire aux alexandrins d’Hugo sans oublier quelques intermèdes chantés d’honnête inspiration. On est conquis par l’intelligence de ce spectacle qui fourmille d’idées scéniques et par le jeu brillant des comédiens, tout en ruptures et relances, alternant lyrisme et légèreté, à travers lequel perce la passion d’un théâtre exigeant sur la forme et sur le fond.
Petit Louvre à 12h30 jusqu’au 28 juillet.

Des couteaux dans le dos
Il y a un théâtre de personnages, le plus courant, et un théâtre de paysages humains, moins narratif, qui tisse progressivement les fils d’une histoire résistant au simple récit de vie. « Des couteaux dans le dos », de Pierre Notte, appartient sans doute à la seconde catégorie. Cinq comédiennes y interprètent une quarantaine de personnages inspirés par les œuvres d’Henrik Ibsen et d’August Strindberg, sans pour autant qu’on s’attache à leur personnalité mais plutôt à l’univers qui s’en dégage. Parce qu’il faut bien une trame lisible au lecteur autant qu’au spectateur, on lui propose celle-ci : c’est l’histoire de la jeune Marie qui fuit le foyer familial, traverse les continents, rencontre la mort, apprivoise des fantômes et des héroïnes de théâtre, avant de trouver l’amour auprès d’un jeune gardien de phare. Fin de l’histoire, c’est peu mais c’est beaucoup. L’esthétique à l’œuvre n’est pas sans rappeler celle d’un Beckett où s’opère une dichotomie entre les mots et la gestuelle des personnages, comme séparés d’eux-mêmes, dans un minimalisme qui n’exclut pas l’humour et la dérision comme réponse au désespoir du monde. C’est fin, bien porté par les comédiennes, mis en scène de façon sobre et élégante par un des auteurs de théâtre les plus intéressants de l’époque qui pousse l’écriture dans ses derniers retranchements.
Petit Louvre à 16h25 jusqu’au 28 juillet.

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