Valletti Circus aux Halles
Trois Valletti, sinon rien ! Le Théâtre des Halles accueille l’auteur marseillais, tchatcheur, amoureux fou de personnages extra-divagants qui le lui rendent bien, avec humour et déraison. Des personnages qui s’inventent en parlant, lancés dans un maquis de digressions qui les emmènent jusqu’à cette forêt obscure dont parle Dante, où ils tâtonnent avec les mots comme des cailloux de Poucet, pour essayer de se retrouver.
Le premier est celui de Maryse, qui attend tous les soirs le sosie de Jean-Louis Maclaren, amant rêvé qui lui faisait « des caresses suggestives ». Dans sa robe de mariée en lambeaux de plastique et de papier, comme une ancienne petite fille plaquée le jour de ses noces, elle dévide sa pelote de souvenirs dans un froissement de vêtement et de mots qui chuchotent l’amour fou à l’oreille du spectateur. « La vie risque de passer et je n’y aurais vu que du feu » dit Maryse. A l’image des personnages de Serge Valletti, avec ce regard du dehors et du dedans, à la fois distancés et distanciés. Mais pas dupes, on ne la leur fait pas, ça risque pas. C’est émouvant, troublant au point de se sentir un poil importun, de se demander soudain si on mérite de telles confidences. Vingt ans après la première mise en scène, Catherine Marnas reprend le solo de Marys’à minuit avec la même actrice, Martine Thinières. Pour ce beau moment de théâtre, nu et singulier.
Bavarde elle aussi cette grande fille bien speed qui entre sur scène en disant « Je peux aussi, si vous voulez… » Elle peut un tas de choses, trier les enveloppes et même les ouvrir, nettoyer les vitres, se taire, mais ça on en doute, courir, faire la gardienne ou remplaçante de gardienne, metteuse, de quoi ? mais de tout. Elle peut si vous voulez, prête à tous les jobs, à tous les trucs, comme faire l’actrice par exemple. Ça elle sait, Charlotte Adrien, bien agitée dans ce « Pour Bobby » par le metteur en scène Alain Timar qui la guide jusqu’au bord d’elle-même, de ce gouffre intime qu’elle combat par les mots, sans quoi la chute. Parole en forme d’appel, d’adresse, comme on dirait partie sans laisser d’adresse.
Troisième personnage, aussi cabossé que les précédents, celui de « A plein gaz », cet homme qui pénètre dans la salle avec un calme inquiétant, regard circulaire sur les spectateurs qu’il prend à témoin, puis en otages en verrouillant les portes. Bigre, le quidam se trimballe avec une bonbonne de gaz, et on a plutôt intérêt à l’écouter si on veut pas que ça saute. Encore un qui s’est pris les pieds dans une existence pépère où le vernis des apparences a fini par craquer. Et lui avec. Il a tabassé sa vie de couple, sa vie tout court, il n’était pas calibré pour. Tragédie d’un homme ordinaire, recraché par la chaîne des événements qui l’entraînent jusqu’à ce jour de passage à l’acte, avec sa bonbonne de gaz et son monologue comme une rumeur de bouilloire sous laquelle on a oublié d’éteindre le feu. Nicolas Geny joue avec maestria ce personnage si tranquillement énervé qu’Alain Timar met en scène en le confrontant, comme dans « Pour Bobby », à cette petite voix intérieure qu’il fait entendre en voix off. Beaucoup plus qu’un symptôme schizophrène, simple écho de la difficulté d’être soi-même et d’exister dans ce grand asile qui s’appelle la vie.
Marys’ à minuit. Jusqu’au 28 juillet à 11h aux Théâtre des Halles.
Pour Bobby. Jusqu’au 28 juillet à 14h au TdH
A plein gaz. Jusqu’au 28 juillet à16h30 au TdH
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