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Sélection du Off Avignon. Chronique 5

28 Juil 2021 | Festivals, Spectacles vivants, Théâtre, Vaucluse

Rachel/Danser avec les morts

  Rachel se marie avec Lou, la famille est au grand complet. Presque, car il manque un frère, noyé à l’adolescence en secourant l’autre sœur, Hannah, qui porte en elle cette blessure jamais refermée. L’heure est à la fête, mais les cœurs sont à marée basse, laissant sur la berge les cadavres des non-dits et des culpabilités. Une famille comme les autres, celle de Rachel/Danser avec les morts, où le conflit menace pour un oui pour un non, où on s’aime avec autant de force qu’on se déteste, et à laquelle chacun d’entre nous peut s’identifier. « Nous voulons raconter collectivement notre capacité à poursuivre notre existence, à résister, non plus malgré nos deuils, non plus contre ce qui nous hante mais avec eux », dit la metteuse en scène Delphine Bentolila. 

  Dans le huis-clos de cette maison en bord de mer où se prépare la fête, les échos du passé reviennent hanter les protagonistes de la noce bien décidés à vider leur sac. On pense au Festen de Thomas Vinterberg et à d’autres films qui mettent en scène de grands déchirements et autres déballages familiaux. C’est d’ailleurs le cinéma, avec le film de Jonathan Demme Rachel getting married, qui a inspiré à la compagnie By Collectif cette création dont l’écriture s’est faite au plateau. Huit formidables comédiens maintiennent de bout en bout l’équilibre entre le drame et la comédie,  on a envie de les citer tous, tant pis pour le name dropping : Lucile Barbier, Delphine Bentolila, Stéphane Brel, Nicolas Dandine, Julie Kpéré, Amandine du Rivau, Laurence Roy, Julien Sabatié-Ancora. Ici on pleure, ici on danse et on rit, car la vie l’emporte sur la mort dans cette pièce qui est une ode plutôt optimiste à la réparation. Une des belles idées de la mise en scène est de confier la narration à l’un des protagonistes de l’histoire qui devient alors comme l’incarnation d’une mémoire familiale lestée par le souvenir du frère disparu. Son spectre en chair et en os se balade sur scène, visible pour le spectateur, invisible aux yeux des autres protagonistes de la pièce. Pari scénique risqué mais réussi, comme l’ensemble d’un spectacle qui maîtrise pleinement toutes ses ambitions.

                                                                                                                     Luis Armengol

Rachel/Danser avec les morts au 11 Avignon à 13h10 jusqu’au 29 juillet. 04 84 51 20 10

Parfum de femme

  Difficile de mettre en scène un mythe, celui du personnage du capitaine Fausto incarné par Vittorio Gassman dans le film Parfum de femme de Dino Risi (1975). Le metteur en scène Gérard Vantaggioli s’y risque avec la complicité d’un comédien chevronné, Jean-Marc Catella, qui endosse avec brio le costume du militaire. On a vu ce comédien dans beaucoup de rôles à Avignon, notamment celui de Vanzetti du Sacco et Vanzetti joué avec son complice de toujours, le talentueux et regretté Jacques Dau, tout comme le Don Quichotte du duo resté dans les mémoires. Il reprend ici le rôle de Fausto qui a perdu l’usage de ses yeux quelques années auparavant en manipulant une grenade lors de la guerre. Irascible et séducteur impénitent, le capitaine devine désormais la présence des femmes à la fragrance de leur parfum. Il recrute Ciccio, jeune soldat aux ordres, qui doit l’accompagner de Turin à Naples où il va rejoindre son ami Vincenzo, handicapé comme lui, pour un mystérieux rendez-vous. Il s’agit en fait, comme on le découvrira par la suite, d’un suicide projeté à deux. A l’occasion de ce voyage à Naples, Fausto retrouvera Sara dont l’amour et la tendresse résistent aux années qui passent et au caractère de cochon du militaire. 

  Tout fonctionne dans ce spectacle, à commencer par le jeu de très bons comédiens (Vanessa Aiffe-Ceccaldi, Nicolas Gény, Hugo Valat) que l’impressionnant registre de Jean-Marc Catella, tyrannique et odieux Fausto, pourtant si tendre et torturé, ne relègue jamais dans l’ombre. Réussies également la mise en scène de Vantaggioli et l’intelligente scénographie, notamment avec ce voyage en train qui fait défiler le paysage sur un écran vidéo dans un compartiment où embarque l’infernal duo Fausto-Ciccio pour un périple irrésistible de drôlerie et de situations cocasses. Il y a de la farce et de la tragédie dans Parfum de femme qui n’en finit pas, malgré tout ce jeu de la cruauté, de nous parler d’amour et d’amitié.

                                                                                                                                   L.A.

Parfum de femme au Chien qui fume à 16h30 jusqu’au 30 juillet. 04 84 51 07 48

La grande musique

  Les familles sont de sortie au Off d’Avignon. Un peu comme dans Rachel /Danser avec les morts, c’est un mariage qui sert, dans La grande musique, de prétexte aux retrouvailles d’une parentèle. La mariée, Esther, en est à son troisième essai et elle s’évanouit le jour de ses noces, non pas dans les bras de son élu mais dans la nature pour fuir le plus loin possible. Pourquoi cette constance dans l’échec, cette obstination à le rechercher et ces déboires qui vont aller jusqu’à la perte de motricité d’Esther qui se retrouve alors dans un fauteuil roulant car elle est devenue incapable de marcher ?

  De Munich à Mauthausen, les six personnages de La Grande musique essaient de décrypter les secrets de leur drame familial via la psychogénéalogie, entre présent et passé. Marcel, Nelly, Georges, Esther, Pierre et Hervé tentent de réunir en effet les pièces disparates d’un puzzle qui n’est autre que celui de leur histoire familiale éclatée. Laquelle va les faire voyager jusqu’à un camp de concentration, celui de Mauthausen, où se sont rencontrés et aimés leurs aïeuls. En questionnement ici, les traces et traumas que laissent nos ancêtres sur leurs descendants et la mémoire des corps qui en restitue trame et drames. La grande musique évoque ces non-dits, secrets de famille et autres refoulés, autant de bombes à retardement dans des existences qui se cognent aux révélations comme des insectes sur des lampes.

  Ecrite par Stéphane Guérin et mise en scène par Salomé Villiers, qui parvient à préserver la lisibilité de l’histoire malgré les changements brusques de lieux et d’époque, la pièce évite fort habilement l’écueil de la psychogénéalogie pour les nuls en explorant finement les méandres des individualités et leur riche complexité. Le spectacle s’appuie pour cela sur des comédiens toujours justes qui savent tenir la bride serrée à la sensiblerie pour exprimer avec finesse les rapports humains et familiaux régissant la cohorte de beaux personnages. La grande musique fait entendre la musique tendre et fragile de l’aventure humaine, celle de gens ordinaires aux histoires individuelles prises dans la tourmente de l’histoire – l’Histoire avec sa grande hache, comme disait Georges Pérec, dont une partie de la famille avait péri dans les camps. La quête de vérité d’Esther nous rappelle, de manière essentielle, qu’on ne peut aller nulle part quand on ne sait pas d’où on vient.

                                                                                                                                     L.A.

La grande musique au théâtre Buffon à 19h20 jusqu’au 31 juillet.  04 90 27 36 89

CatégoriesFestivals | Spectacles vivants | Théâtre | Vaucluse

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