Il faut absolument donner un coup de pouce, et de cœur, à cet incroyable musée des vallées cévenoles où l’on se retrouve immergé(s) dans un passé pas si ancien, du temps où l’artisanat surpassait la technologie moderne. Et la visite cette année est d’autant plus justifiée que c’est un enfant du pays, lequel connaît bien les traditions locales, qui s’est emparé de la salle d’expo temporaire, remodelée pour la circonstance (lumineuse et ouverte d’un côté, voire quasi festive ainsi que le prouve la présence de confetti ; intimiste et grave, plus méditative de l’autre), mais aussi qui s’est immiscé dans la plupart des permanentes sans parler des extérieurs (goulottes orange de chantier en osier ; Jardin potager dans le parc) ou même d’un salon de thé (empli de tapis indiens ciselés de scènes du KS).
Rodolphe Huguet a, en effet, passé son enfance dans le secteur, ce qui justifie certaines allusions précises à ses souvenirs les plus marquants, tel ce tronc de châtaignier brûlé, souvenir d’un incendie mémorable, qu’il fait tourner et à qui donc il redonne vie sur un socle en béton. Les deux vidéos présentées (Le feu, Le cochon, de 1976 !). Ou ce pupitre en lequel il a concocté des tas de polyèdres à partir de feutres de couleurs, rappel des jeux d’écolier, et cette gomme plantée d’une pointe de crayon, quand l’imagination prend le pas sur l’ennui en classe.
Quant à la photo de Roro en personne, elle rend présent celui-là même qui, quelques décennies plus tard, est venu hanter cette ancienne filature, dont il demeure une partie muséale, où il a réussi à insérer quelques paniers géants et pliés en deux. Le bosselage imité de boîtes de conserves géantes est l’un des fils conducteurs de ce parcours, véritable voyage dans le temps, qu’il s’agisse de leur octroyer les couleurs lumineuses du spectre ou de servir de pot de fortune à bien des plantes potagères mais pas que : hommage est rendu à l’ortie (on s’y est confronté, enfant, en voulant s’approcher de trop près des zones sauvages) ou à la ronce (on s’y est abimé les mains en cherchant à cueillir des mûres sauvages, Huguet leur offre un malicieux papier peint et leur moulage en bronze) qui a sans doute donné à l’homme l’idée du barbelé.
Sauf que ces conserves géantes sont soumises à une illusion d’optique : elles sont en céramique et réalisées en collaboration avec des entreprises du secteur. Elles sont cabossées, comme si on les avait froissées après usage, ce qui marque bien l’empreinte de l’artiste, notamment de sa main, sur les objets qu’il manipule ou choisit. Une corde faite de poings en terre cuite, grimpant vers le plafond, est d’ailleurs là pour nous rappeler l’importance de cet organe manuel, si essentiel à l’artisanat d’hier, que l’artiste réactive.
Un autre fil, si je puis dire, récurrent, de ce parcours : le tissage évidemment, cocons obligent, qu’il intègre à maintes pièces qui vont de la suspension de gabarits de bas de soie à une poulie d’origine, à des portes et fenêtres dont il explore la partie vitrée, ou encore des lauzes recouvrant des ruches (où poser un crâne vomissant une pierre-cervelle attaquée par les vers). L’exposition temporaire est très riche, un escalier en bois donne à réfléchir, mais on est loin d’être au bout de nos surprises car Rodolphe Huguet a glissé certaines réalisations anciennes parmi les pléthoriques collections d’objets de la partie authentiquement cévenole : parmi les outils agricoles (le sien : planté dans de la terre), la vaisselle, une chambre ici une cuisine là.
A chaque fois, l’intervention est malicieuse et juste, tels ces cinq arrière-trains de moutons taxidermés, dans la partie la plus bucolique. Ou ces jambières de vannerie en doum dans la section Foire et marchés, dont la technique a été apprise durant un voyage (il y adjoint une photo d’un souk marocain) – et en l’occurrence critique l’économie de marché. Car si Rodolphe Huguet voyage doublement dans le temps, par ses souvenirs d’une part et par la résurgence de ses œuvres antérieures de l’autre, il est un grand voyageur aussi dans l’espace (Népal, Japon, Colombie, Inde, Maroc) et il profite de ses voyages pour s’informer des économies et coutumes locales et pour travailler avec des artisans. Un cliché d’eaux minérales népalaises, sculptées dans des pierres de rivières himalayennes, est une référence directe à ce que lui ont appris les voyages (ici sur la valeur de l’eau ! Thème d’une actualité brûlante !).
Toujours est-il que le parcours se fait jeu de piste, on retrouve ainsi les chemins de l’enfance, les œuvres contemporaines de l’artiste se mêlant aux choses bien alignées de l’ancien temps, auquel il emprunte de surcroît les techniques ancestrales (poterie, vannerie, tissage…). N’oublions pas les dictons cévenols que l’artiste emprunte et réinterprète pour ses titres, et l’on constatera que rien n’est laissé au hasard. Ce qui n’empêche pas Rodolphe Huguet de rappeler qu’il n’a pas été marqué seulement par la tradition qui se perd, il est avant tout un artiste contemporain, qui s’inscrit également dans l’Histoire de l’Art (D’où un signe espiègle à Brancusi).
Il y aurait beaucoup à dire encore sur cette exposition pertinente, cohérente et conduite de main de maître. Quand on vous offre une carte blanche, il ne faut pas se manquer. Non seulement Huguet ne se manque pas, mais il ne manque pas d’idées, et de moyens multiples de les réaliser… Et d’abord, il brille par sa présence, même s’il s’amuse à cacher son visage derrière un panier qui peut vite devenir masque primitif. Bel hommage en tout cas à ces activités ancestrales dans lesquelles on a été baigné et que l’activité artistique contribue à perpétuer…
BTN
Plus d’informations : maisonrouge-musee.fr