Au CRAC on redécouvre Jacques Derrida, et on interroge la langue pour tout ce qu’elle révèle d’ambiguïtés, de particularisme, de pensées latentes.
Cette expo, devenue estivale, attribue la primauté à l’aspect didactique et documentaire ainsi que le prouve la présence de collectifs de tous ordres : la structure de production artistique libanaise : Temporaty Platform (qui présente douze coupures de journaux), l’association allemande Man Schenkt keinen hund, qui nous offre un panel d’ouvrages pédagogiques destinés aux migrants, le trio Fehras Publishing Practices qui se livre à un travail comparatif des couvertures de catalogues en arabe et en anglais ; enfin l’Institute for Incongruous Translation qui couronne la dernière salle d’installations circulaires interrogeant un manuel scolaire soumis au contexte culturel qui entoure l’usage d’une langue (en l’occurrence le farsi et l’anglais).
L’expo se visite de droite à gauche, ce qui change nos habitudes ambulatoires et tend à nous « des-orienter » si je puis dire. Le désigner marocain Montasser Drissi scande d’ailleurs ce parcours linguistique de propositions graphiques faites de lettres, de vocables et de citations en arabe et latin d’une part, en anglais, arabe et français de l’autre. Les œuvres exposées sont donc toutes liées à ces problématiques diverses suscitées par la langue qu’il s’agisse de l’anagramme, du rébus, des problèmes aigus que pose la traduction ou des modifications de sens autorisées par une variation vocalique. La canadienne Serena Lee a conçu un work shop, invitant des partici- pants à confectionner, en pâte à sel, donnant consistance à leurs mots préférés. On peut voir sur une table les objets réalisés ainsi que diverses vidéos questionnant l’attribution fictive, dans le futur, d’une seconde langue arbitraire et native. La vidéo est très présente : celle de la cinéaste londonienne Sophia Al Maria, laquelle confie ses choix personnels ou fantasmes obsessionnels en mêlant ce qu’elle nomme des pétroglyphes à des images de corps masculin, nu et dansant.
L’atmosphère se veut manifestement poétique. Plus pittoresque : l’entretien du Niçois Benoït Grimalt avec sa mémé et son tonton sur ce qu’ils ont retenu de milliers d’heures de visionnage des Feux de l’amour. Ce que l’on ressent est décidément difficile à traduire par le canal des mots. Le Mexicain Vir Andres Hera filme quant à lui des processions religieuses, en Andalousie, conjuguées à la lecture d’un poème du XVIIème siècle, translittéré pour l’occasion.
Et puis nous sommes conviés à un karaoké un peu spécial, imaginé par le groupe Fehras, à partir de mélodies célèbres, associées à des paroles réécrites pour l’occasion, dans l’inclination militante qui sous-tend leur démarche. A souligner : l’œuvre photographique à la fois touchante et réussie de la Lilloise Wiame Haddad en argentique. Il s’agit d’objets assez émouvants, réalisés par les prisonniers de la monarchie marocaine précédente, sur fond blanc. Et de moulages de membres de certaines personnes incarcérées, ce qui suppose une certaine confiance établie et entretenue à force d’intimité linguistique.
Mounira Al Sohl installe de lourds patchworks calligraphiques en jouant sur des anagrammes. Enfin la Néerlandaise Ceel Mogami de Haas réalise des rébus sur poudre de marbre. Cette exposition pousse évidemment à la réflexion. Elle n’est pas facile d’accès mais on peut toujours compter sur la motivation, l’enthousiasme et les compétences des médiateurs, indispensables pour traduire non seulement les langues mais les idées.
Plus d’informations : crac.laregion.fr