L’automne sera, semble-t-il aussi « éveillé » que l’été, à Carré d’art, puisqu’après les « noires » revendications d’un Glenn Ligon, ce sont deux artistes qui se réclament de la mouvance Queer, qui occuperont l’architecture moderniste, toute de verre vêtue, du chef-d’œuvre de Foster. Et également une artiste, une femme donc, britannique d’origine palestinienne, qui ne dédaigne pas de contester les normes édictées par l’état au sein de la société.
Le duo Brennan Gerard & Ryan Kelly s’est fait par ailleurs remarquer par sa performance, en Panorama, à la Bourse de commerce parisienne (Pinault), sous la coupole aux frises colonialistes. L’un de leurs films confronte ouvertement l’incarnation du mâle froid qu’est Le Corbusier, fort de sa supposée Cité radieuse, à ce symbole d’énergie féministe de la cause noire qu’est devenue Joséphine Baker. Une collaboration est à ce propos conçue avec le Sémaphore afin de visionner leur film, Bright hours. On comprendra dès lors que nous avons affaire à des œuvres porteuses d’un message, lequel rejoint le mouvement général de remise en question des majorités oppressives et à la réhabilitation des minorités opprimées. Les deux artistes recourent essentiellement à la performance filmée (ou en direct, ainsi que l’on pourra le constater dans le hall, avec une réflexion performée sur l’identité américaine), interrogeant les architectures qui nous sont devenues familières depuis la modernité ; on aura pu le vérifier dans leur occupation quasi-chorégraphique de la Schindler House (1921), ou de la Johnson House (43), et dont il est question dans une installation vidéo. Ceci dit, si le mouvement orchestique et l’image qui le restitue jouent un rôle essentiel dans ces interventions performatives, Ryan et Kelly ne dédaignent pas le recours : au dessin (un parcours corporel au sein d’un appartement) ainsi que le prouvent la série Score drawing ; la peinture acrylique – et graphite – sur toile (« The family is a system of regeneration ») ; ou encore l’installation in situ puisque neuf plages de vinyle multicolore viendront moduler la lumière et les teintes des fenêtres vitrées. Les performances semblent proposer des modèles nouveaux de vivre ensemble (Modern Living), en intimité au sein de la maison, dont la présence de corps nus et se mouvant, contredit le caractère abstrait et froid. La notion de couple perdure mais inclut toutes les nuances des genres autrefois binaires et normés. On se dit alors que, si des couples parviennent à vivre en harmonie au sein d’une maison, dans un environnement neutre, pourquoi n’en serait-il pas de même à l’extérieur ? En passant par Carré d’art évidemment.
Rosalind Nashashibi est également cinéaste et semble soulever des questionnements sur les relations intimes à l’intérieur d’une famille, d’un groupe d’amis et au-delà, dans la perspective d’établir des relations durables de solidarité. On le découvrira au sein de l’un de ses films, Denim sky, long métrage familial qu’elle conçoit comme de la matière vivante, et où les objets sont le support d’histoires, vécues ou fictives, en extérieur ou en intérieur, parmi des personnages ou des objets à hauteur de regard. Mais aussi parmi diverses peintures, sur lin, plus ou moins énigmatiques, où personnes, animaux et écritures ou signes se mêlent pour établir une relation de complicité avec le spectateur. Les couleurs sont sourdes, les formes identifiables mais estompées, la figure et l’abstrait ont une égale importance, et des concepts manuscrits viennent en quelque sorte leur assurer un juste milieu en même temps qu’une orientation sémantique. Ce sont des « Monogram » titre de son exposition.
Jusqu’au 20 novembre, on pourra en outre voir ou revoir également les impressionnants néons de Glenn Ligon ou sa réécriture d’un livre revendicatif de James Baldwin. Entre deux Debris field, un Negro sunshine et quelques America Post-Noir (titre de l’ensemble présenté). De quoi, en effet, s’éveiller à des causes honorables, pour ceux qui n’y auraient pas songé.
BTN
Plus d’informations : carreartmusee.com
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