Toujours accueilli par les effluves des tilleuls à l’entrée nord du Domaine d’O, le nouveau week-end au Printemps des Comédiens s’annonce riche. Il est en partie réservé à des artistes habitués du festival.
Jean-François Sivadier, par exemple, qui met en scène Un ennemi du peuple**** d’Ibsen dans l’amphi d’O. Créée en 1883, la pièce traite d’une question terriblement actuelle, la pollution mais aussi de la manipulation. Dans une station thermale de la côte norvégienne, Tomas Stockmann, médecin des bains découvre la présence d’une bactérie dans les eaux, mettant en péril la vie des curistes. Il alerte Hovstad, rédacteur en chef d’un journal indépendant. Mais le frère ainé Peter Stockmann, préfet et principal actionnaire de l’établissement souhaite étouffer l’affaire qui entrainerait la fermeture des bains et la ruine de la petite cité. De sauveur, par un habile retournement de situation, le docteur devient ennemi du peuple. La mise en scène de Jean-François Sivadier s’attache à souligner la problématique, l’ambiguïté de l’humanité dans une scénographie grandiose de fin de monde. Comment faire coexister écologie et rentabilité ? Il joue avec le public témoin et acteur de ce drame comique ou de cette comédie dramatique dans une ambiance joyeuse jusqu’au monologue délirant de Tomas/Nicolas Bouchaud. La démocratie en prend un sacré coup. On l’empêche de parler, il pourrait retourner à son profit la situation. Alors il se lance, il invective les spectateurs, les traitant de veaux. Le malaise est palpable. Théâtre ou discours politique ? Est-ce l’acteur qui s’exprime ou son personnage ? Qu’il est aisé de retourner l’opinion public ! On en frémit ! La pièce, s’achève en apothéose apocalyptique, au milieu des vitres brisées par les pierres qui tombent du ciel sur l’habitation de la famille de Tomas, complètement abandonnée. C’est cruel, cynique fascinant.
À l’autre extrémité du Domaine, le théâtre d’O, dans l’ancien chai, est réservé à des formes plus intimistes. Et d’abord Casino Stendhal***, défendu par Frédéric Borie dirigé par Nicolas Oton. On suit ces deux artistes depuis leur sortie du Conservatoire de Montpellier où ils eurent comme professeur Georges Lavaudant. Celui-ci veille toujours sur eux, il signe les lumières du spectacle. Pendant une heure, le comédien fait voyager en « Stendhalie », en racontant, à partir d’écrits divers, la vie d’Henry Beyle, orphelin à 7 ans, d’une mère chérie, jusqu’à la cinquantaine. Ses passions, ses doutes, sa soif de vivre en paix loin de ce qu’il exècre, Paris, Grenoble la France, dans cette Italie qui l’émerveille. Un aventurier révolté. Comédien romantique, Frédéric Borie s’est imprégné avec jubilation de la personnalité et des écrits de l’auteur pour le rendre vivant. Une excellente performance d’un artiste en plein épanouissement.
Salle Paul Puaux, rendez-vous avec Duras. Isabelle Lafon a conçu Les imprudents*** à partir de textes et d’entretiens, avec et par Duras. En effet, la romancière était curieuse et pleine d’empathie pour les autres, elle n’hésitait pas à rencontrer les mineurs par exemple, à s’intéresser à leur vie, à leur lire des poèmes. Avec tout ce matériau, Isabelle Lafon et ses complices Pierre-Félix Gravière et Johanna Korthals Altes campent un portrait d’une Duras inconnue, humaine, ouverte accueillante, y compris à Margot la chienne. Un bijou.
Enfin au Théâtre Jean-Claude Carrière, Dans la foule****, une création à grand spectacle de Julien Bouffier, d’après Laurent Mauvignier. Le 29 mai 1985, au stade du Heysel à Bruxelles va se jouer la finale de la coupe d’Europe entre deux clubs mythiques : la Juventus de Turin et Liverpool. Dans les gradins les supporters et aussi les Tifosi et les Hooligans. Et c’est le drame, bousculade entre les tribunes, elles s’effondrent, le match a tout de même lieu. La pièce adaptée du roman fait revivre, l’avant, le pendant, l’après à travers Geoff de Liverpool, Tana et Francisco, deux jeunes mariés italiens, Gabriel et Virginie deux Belges venus participer à la fête. Leurs voix s’élèvent tour à tour, chacun dans sa langue, puis se mêlent en chorale. Julien Bouffier qui aime le théâtre, le cinéma et le foot réalise une sorte d’oratorio profane qui célèbre le ballon rond et ses excès dans une scénographie superbe. Des immenses cages destinées à recevoir les buts, mais aussi à figurer les grilles sur lesquelles les corps sont venus jetés pendant le drame ; la pelouse sert de couverture pour envelopper les victimes ; des maillots descendent des cintres et des textes s’incrustent sur un écran alternant avec des images d’archives de supporters ou d’extraits du match. La fin raconte l’après, comment revivre le drame au procès et après le procès, après le chaos. Un spectacle d’une grande intensité dramatique admirablement joué par Vanessa Liautey, Alex Selmane, Gregory Nardella, Zachary Fall, Alexandre Michel. Un écho au Championnat d’Europe qui a lieu en ce moment. Paisiblement jusqu’à présent. Mon Printemps s’achève là pour cette année, sur ce week-end foisonnant d’émotions. Une édition enthousiasmante.
MCH
Prochains spectacles :
- Ce qu’il me reste, 20h, 24 juin, 17h, 26 juin, Théâtre du Hangar.
- Un Hamlet en moins, 20 h, 24, 25, 26 juin, Théâtre des 13 Vents.
- Mon corps c’est le monde, 20 h, 25 juin, 20h30, 26 juin, Théâtre du Hangar.
- Tempest Project, 20 h30, 25, 26 juin, 16 h, 26 juin, Théâtre d’O.
Plus d’informations : printempsdescomdiens.com