Arnal, Bioulès (même si…), Meurice, Dezeuze, Viallat et bientôt Toni Grand… Décidément le musée Fabre, à Montpellier, s’est acquis une jolie petite collection des artistes de notre région plus ou moins apparentés à Supports-Surfaces. Christian Jaccard, présenté jusqu’au 21 avril, vient compléter ce florilège, lui qui a passé sa vie à interroger la matérialité du support tout en revisitant des pratiques ancestrales.
On sait que son œuvre peut en gros se constituer de deux axes : l’un qui l’amène à explorer toutes les traces et empreintes que l’élément feu peut laisser sur la surface investie de la toile ou du papier, parfois du bois (et dans l’architecture des lieux) ; un autre, qui lui est parallèle, et qui le conduit à ce qu’il nomme un « concept supranodal », entendez l’accumulation de nœuds, sur le modèle de la constitution même de notre univers. Dans l’infiniment grand, l’énergie se serait nouée de manière à susciter le temps sidéral. Les œuvres peuvent passer pour la réalisation matérielle et à échelle humaine de ce qui se trame en l’espace infini. Ces deux activités qui peuvent se combiner, brûler et nouer, ainsi que le montre tel couple de Nœuds sauvages sur toile calcinée, relèvent non seulement d’inventions primitives relatives à l’enfance de l’Humanité, mais font partie également des jeux, plus ou moins autorisés, pratiqués durant l’enfance. L’adulte perpétue ainsi l’esprit d’expérimentation ludique qui définit son Histoire.
Le feu en particulier fascine en raison de sa brièveté et symbolise bien notre existence, tout en pérennisant des traces visibles, à l’instar de l’art. Dans l’Atrium Richier, on voit ainsi un diptyque bipolaire de très grand format, disons-le surhumain, témoignage de l’ambition humaine de se dépasser pour accéder un tant soit peu à l’infini. Des formes méandreuses produites par la combustion nous font dériver vers des effets d’onirisme. Dans le même espace d’accueil, outre un autre diptyque plus modeste et tout de rose vêtu, deux œuvres étonnantes : Le délassement du peintre : des alignements quasi-scripturaux, au sol, de brosses et pinceaux, assortis de coton peints… Ou encore cette Garden-party toute de blanc vêtue, où des objets de jardinage, plantoir, brouette, râteau… sont reconstitués à partir des fameux nœuds qui auront tant fasciné, tout au long de sa vie, l’artiste. Un Anonyme Calciné, ressuscite une vieille et sombre toile chinée dans quelques brocantes, à coups de barres enfantines.
Quatre salles à l’étage abritent par ailleurs toiles et dessins, témoignant de plus de cinquante ans de pratique. Ainsi se familiarise-t-on avec les premières œuvres du peintre : des empreintes polychromes sur toile apprêtée ; les premiers essais de calcination dans une juxtaposition d’une toile stigmatisée avec l’outil qui a permis l’expérimentation. Un polyptyque sur toile écrue prouve que la répétition n’est pas un système austère, mais peut s’accommoder d’effets imprévisibles. Parmi les œuvres remarquables, un tondo en rouge et noir où l’artiste expérimente le gel thermique sur acrylique et bois tout en soulignant son vif intérêt pour l’activité volcanique.
Enfin les deux dernières salles sont consacrées aux dessins sur papier, déformé par la combustion à mèche lente. Dans les tons bruns de la combustion en général, mais aussi sur gouache ou aquarelle rouge. Car dans les deux cas, nouage et calcination, il s’agit d’activités manuelles, dont l’origine se perd dans la nuit des temps, autant dire ce qu’il y a de plus concret, de plus humain encore. Il fallait le démontrer : le feu ça crée.
BTN
Plus d’informations : museefabre.fr