Les deux œuvres qui ouvrent l’expo saisissent par l’impact qu’elles ont tout de suite sur le public des visiteurs. Celle de Martha Arango surprend par son recours à des matériaux hybrides bien dans les réflexions des artistes d’aujourd’hui. Une tête de cerf, posée sur un corps humain lui-même porté par un socle noueux, nous renvoie à des épisodes christiques et à des mythologies anciennes, à l’instar de ce buste à tête d’aigle qui est très impressionnant. Ce qui sidère également c’est, à y regarder de plus près, le recours à des matériaux inattendus, telle la ouate ou le papier mâché, parfaitement maîtrisés à l’instar des compagnons d’antan. Une porte peinte sur dibond par Kate Wyrembelska nous ouvre l’espace du lieu : et c’est le grand déferlement après la retenue. L’artiste a dessiné un visage d’où jaillissent des vagues de pensées colorées, lesquelles traversent l’espace de la toile avant de déferler au sol dans un concert de bandes de couleurs ondulées et différenciées. On ne saurait mieux évoquer le besoin de libération qui a saisi les artistes en cette période de confinement et de rétention forcée. Plus haut, une grande toile, proche de Pollock et de Serge Leroy, témoignera d’un corps à corps avec les couleurs jetées directement sur la toile, sans souci de bon goût ni de peinture bien léchée. Toujours à l’entrée Arthur Baudon Vernet nos invite à voit en photo le quotidien différemment, avec en quelque sorte trois menus domestiques sur petit format carré, dessinant facétieusement des visages hauts en couleur. On est dans l’intimisme inventif et dans la volonté d’expérimenter les rapprochements plus ou moins fortuits, tout en les partageant avec le plus grand nombre. Au fond à l’instar d’une simple recette de cuisine. On est moins dans le marché de l’art que dans le marché des fruits et légumes que nous oublions parfois de regarder de près pour en retirer, outre les saveurs et odeurs, les formes et couleurs en un certain ordre assemblées.
La plus grande pièce de l’étage est vouée à la peinture même si une œuvre de Koré Lechat-Ménard a supplanté le lustre central pour se mettre à notre portée : les clairs obscurs, très Caravage, de Manuel, que l’artiste fait évoluer vers l’inquiétante étrangeté des surréalistes. C’est sensible dans le petit tableau intitulé les Prédateurs où une horde de loups minuscules semblent forcer une jeune femme, peinte en gros plan, au silence prudent. Le souffle coupé semble ici celui de la peur face aux abysses trompeurs de l’inconscient, son ambivalence, sa compossibilité spatio-temporelle. L’autre tableau, intitulé les Barbies, fait se jouxter la fine beauté des poupées commerciales à la monstruosité scientifique des siamois. Sans doute avec un brin d’ironie et de malice, sur ce fond toujours ténébreux de l’inconnu, notre lointain intérieur. Eric Bavoillot plonge également dans les eaux troublées de l’inconscient mais de manière plus abstraite même si l’on sent poindre ça et là tel motif symbolique, celui que nous y projetons à l’instar de l’expérience des spectres de Rorschach. Il a également choisi le format carré, moins connoté que le rectangle (paysage, portrait) ce qui lui permet de proposer des compositions dynamiques sur toile, que l’on a plus de mal à rattacher au thème, mais qui sidèrent par leur puissance suggestive et leur énergie colorée. Enfin, plus calmement mais dans une ambiance plus flottante, Paol Serret présente deux toiles enchanteresses qui semblent relever d’un merveilleux personnalisé. Y séjournent des oiseaux à deux têtes et autres créatures ailées dans une ambiance végétale et japonisante, à la facture bien léchée, qui fait penser à des eaux dormantes, où les valeurs sont inversées, aux couleurs douces, tout cela contrastant avec la colère contenue, au vu des circonstances. Comme quoi elle atteint au mieux son but, la colère, quand elle se sublime en se métamorphosant en art. Car c’est l’art qui, en définitive, coupe le souffle, dans sa richesse et son étendue, ondoyante et diverse disait Montaigne.
Une exposition riche et variée, qui joue la carte de la tradition (peinture, sculpture, photo…) mais dont on espère que c’est la première d’une longue série, de la part de cette association sympathique, dynamique et qui ne manque pas d’ambition. Le Mécen.
BTN
Jusqu’au 24 juin. Tous les jours sauf le lundi. 1, rue Carbonnerie, Montpellier.
Plus d’informations : mecen.fr
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