On a plusieurs bonnes raisons de s’arrêter au Musée de Lodève, récemment restauré et véritable joyau à contempler avant d’affronter le désert qui mène à Rodez ou en Auvergne. D’abord, son superbe parcours didactique concernant tant l’Histoire de la Terre que l’étude de l’humain du néolithique. Ensuite parce que l’on y découvre un enfant du pays, conservé aujourd’hui au musée d’Orsay, le sculpteur Paul Dardé et son puissant faune géant, à quelques encablures d’un singulier monument aux morts, dont le musée possède également des portraits et monuments. Et enfin pour ses expositions temporaires, en l’occurrence, cet été celle d’une praticienne de la porcelaine contemporaine : Violaine Laveaux à qui a été confié la responsabilité de mettre en perspective certaines pièces célèbres de son prolifique aîné, à la lumière de sa vision moderne et féminine.
Une carte blanche que l’artiste a prise au pied de la lettre afin d’amorcer le Dialogue, puisqu’elle décline ses multiples réalisations en toute une gamme de blanc, lequel donne son unité à l’ensemble, parfois de gris, plus rarement de noir tout en renvoyant à la connotation magique de l’animal. Se mesurer à la virile assurance du solide tailleur de pierre était une gageure bien audacieuse, dont l’artiste se tire plutôt bien : son choix de la Gorgone comme figure emblématique de la production de Dardé s’avère en effet judicieux. Méduse est celle qui pétrifie et c’est un peu ce qu’il se produit quand on travaille la céramique. La salle des miroirs aveugles qui clôt l’exposition est là pour nous le rappeler. Ensuite la chevelure de serpents bien ouvragée par Dardé dans son Eternelle douleur représentait à la fois un défi technique et un attrait pour l’artiste du fragile qu’est Violaine Laveaux. La jarre aux serpents en particulier est un exemple de virtuosité manuelle, que semblent métaphoriser les habiles mains sinueuses qui relèvent de l’hybridité (homme et animal). De même, L’Enfant au lapin ouvre l’imaginaire à toute une faune que l’on retrouve dans les contes et que Violaine Laveaux s’est efforcé d’explorer : des oiseaux notamment dont elle réalise de circulaires compositions, ou les lièvres et les loups alignés le long du mur ; des robes surtout, celles que l’on suppose aux princesses des bois dormants ou des bijoux, grâce auxquels certaines femmes des temps jadis se laissaient apitoyer par le Monstre. Un peu par humour, un peu par attachement à des souvenirs d’enfance, Violaine Laveaux aime tantôt associer les choses (un végétal et un animal par ex) tantôt les transformer, autant dire les pétrifier, douce émule de la gorgone donc. Les branchages relaient la porcelaine de manière à sculpter dans le vide ou à dessiner de façon naturelle et aérée.
Le parcours se déroule en cinq étapes : des impressions de Méduse sur bande de tissus dans la première salle. Le thème de l’enfance dans la seconde avec en particulier un buste d’enfant et des références aux contes. L’adolescence ensuite avec la découverte du corps et des différentes façons de la parer (bijoux et vêtements). Le thème si essentiel des métamorphoses, qui résonne avec l’obsession bien moderne pour l’hybridité et qui révèle la porosité d’un règne à l’autre, en l’occurrence du végétal vers le minéral, sans régression pourtant. Enfin la salle des miroirs bombés qui nous conduit vers les salles Dardé en lesquelles on retrouve les dessins que celui-ci a consacrés à une autre femme maudite, et sans doute aussi mal comprise : la diabolique Lady Macbeth. Cela permet de découvrir un autre aspect de Paul Dardé, la finesse de son trait, sa maîtrise de l’encre de Chine, et ses références culturelles qui le portent vers des personnages puissants, complexes, fascinants. Un dialogue pertinent qui amène à relire Dardé autrement tout en confirmant les vertus de la céramique qui n’a jamais été autant sollicitée. Ses œuvres de Violaine Laveaux compensent en multiplicité, en finesse, et en grâce, bien incarnée par les oiseaux, ce qu’elles récusent en force et virtuosité…
BTN
museedelodeve.fr