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Livres : voyage au bout de la brousse avec Georges Drano, par BTN

10 Mar 2022 | Livres

Cette Barrière de pluie est une petite merveille de poésie simple, directe et pourtant versifiée que nous offre, dans son dernier recueil, Georges Drano. Chargé d’une mission au cœur de la brousse, ainsi que sa compagne Nicole à qui est dédié ce livre, le poète de Frontignan livre une douzaine d’anecdotes subtiles empruntées à un voyage humanitaire en Afrique dite noire.

Sa poésie prend alors un caractère plus narratif que lyrique, plus précis que suggestif tout en demeurant rythmée par l’omniprésence des vers libres de longueur étendue. Il s’agit ici de restituer d’une part l’expérience d’une réalité brute vécue intensément et dont l’émotion éprouvée demeure bien vive dans la mémoire des mots, d’autre part de ne point trahir l’esprit des gens du lieu, de la façon spontanée d’aborder le monde des tribus concernées. Ainsi le chef du village Peulh narre-t-il, lui aussi, la généalogie de son peuple, de manière naturelle et objective. On est aux sources de l’épopée, après partage du lait de bienvenue. Pas si loin d’Abraham au fond et des patriarcats bibliques. Évidemment, dans ces régions isolées et torrides, sans route, voire sans piste véritable, les ennuis mécaniques sont légion. Il faut alors recourir à la débrouillardise, à la solidarité ou à l’inventivité des autochtones et guides avisés. C’est ainsi que l’opel Astra se retrouve, après immobilisation et réparation de fortune, dans la situation opportune d’un Taxi-Brousse improvisé. Tout est sujet d’étonnement, d’émerveillement dans ce voyage et dans ce livre, tel qu’il nous en est rendu compte. Mais sans déploiement de faste ni d’artifices technologiques, polluants et onéreux. On y entend même la nature la nuit et le grand nocturne des animaux. Il ne faut pourtant pas se croire en territoire conquis. Au Burkina, les nuiys sont profondes et pures : on prend le risque de s’y égarer, à l’instar des pistes hasardeuses d’après la Barrière de pluie. Le couple en fait l’expérience en voulant rentrer seul à sa pension, à la poursuite du grand arbre, le baobab, noyé d’obscurité totale. Heureusement toujours quelqu’un survient pour aider providentiellement le couple peu rassuré… Autre moment fort, la découverte d’une colonie d’innombrables crapauds, justifiant la disparition des plants de protection d’un jardin scolaire. Autochtones et humanitaires travaillent dès lors de concert. Et toujours l’accueil chaleureux et les cris de joie des enfants pour compenser le vent, la poussière, la chaleur torride. 

La surprise et le mystère attendent les voyageurs en chaque lieu : un petit tas de sable fin, qu’il faut rituellement transvaser d’un local, tel un signe du destin auquel le couple aurait échappé ;  le gardien de musée Célestin qui cite le Dieu des chrétiens entre le culte des ancêtres et sa culture animiste ; la danse avec tambours et masques, qu’il ne faut ni nommer ni regarder et « qui ont des pouvoirs qu’on ne connaît pas. ». On est immergés dans un autre univers, totalement opposé à notre occident industrieux. Là-bas, les paillettes d’or se pèsent à la balance rudimentaire et valent quinze centimes d’euro. De secourables touaregs refusent de se voir récompensés pour de précieux services rendus. Un simple « tapeur de sable » passe pour « un grand quelqu’un. ». Ceci dit, même si le récit versifié demeure le plus prosaïque possible, rien n’interdit d’en interpréter certaines données de manière plus approfondie lors du voyage de lecture. L’épisode de la femelle phacochère prouve qu’il suffit de lever quelques ambiguïtés pour que l’entente se fasse cordiale, celui de Célestin que le syncrétisme n’exclut pas la tradition, ni que ce « monde du silence » dont parle la compagne du poète ne puisse pas bruire d’une autre manière une fois retranscrit dans le poème, du côté de l’Hérault adoptif ou de la Bretagne natale. Au demeurant, certaines phrases sonnent différemment si on les isole du contexte : « Nous errons dans un monde nocturne d’où toute/vie est absente. » Georges Drano donne avec ce livre, une leçon d’itinérance intelligence et pudique. Il ne s’agit pas de changer le cours d’une Histoire mais de maintenir en vie des traditions, peut-être en aider à créer de nouvelles. Et si Georges et Nicole se retrouvaient un jour dans la mémoire collective des tribus qui les ont accueillis ? Chacun s’imprègne de l’autre et réciproquement. Après-tout, ne mêle-t-on pas des morceaux d’igname à nos traditionnels spaghettis recouverts de sauce…

BTN

La Barrière de pluie, Edition La Rumeur libre, 102 pages.

CatégoriesLivres

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