Comme il l’avait déjà fait pour le Poulpe, Serguei Dounovetz a jeté son dévolu sur un personnage bien connu du grand public, et auquel nous sommes d’autant plus sensibles que son créateur, Léo Malet, est originaire de Montpellier. Il s’agit bien sûr de Nestor Burma, incarné à la télé par Guy Marchand. Cette French pulp, policière et populaire, actualise ainsi le héros, célèbre détective si l’en est, français de surcroît, et le contexte dans lequel on le fait évoluer : le nôtre, contemporain et parisien, en l’occurrence du côté de Belleville. Les supposées funérailles d’un ami (en fait Niki Java, transfuge d’une série initiée par Dounovetz) sont le point de départ d’une suite de péripéties traversées par le conflit ottoman, entre turcs et kurdes. Comme toujours, chez Dounovetz, le lecteur est tenu en haleine et saute de rebondissements en rebondissements. On y croise la commandante, combattante kurde vengeresse et pour cause, un diplomate pervers et proche du pouvoir en place, une maquerelle venimeuse qui refuse de vieillir, divers trafiquants, les renseignements généraux, le quai des orfèvres, et des cadavres en veux-tu en voilà. Plus les fameux loups de Belleville, dont on comprendra que ni le narrateur éponyme ni l’auteur ne les porte dans leur cœur. La quête d’un dossier sulfureux sert de prétexte à ces pérégrinations dans les rues, recoins discrets, cavités insoupçonnées du XXème arrondissement, qui ne brille pas par sa sérénité sécuritaire. La splendide et exotique Kardiatou, et le fidèle Mansour, sont les adjuvants du trublion surmotivé, lequel prend tous les risques, et s’en sort sans une égratignure, au seul bénéfice de l’amitié ressuscitée, si l’on peut dire. On s’en doutait dès le départ mais c’est ce qui rend ces histoires de détectives captivantes. Ce n’est pas le dénouement qui compte mais la manière dont on y parvient. On est en effet dans un exercice d’écriture, de réécriture même, et Dounovetz s’en donne à cœur joie pour nous distiller des jeux de langage dont il a le secret. Ces calembours permanents créent un certain recul. On n’est jamais dans le sérieux. Ou plutôt ce dernier ne se trouve pas dans l’histoire que l’on nous raconte, non sans gouaille, mais plutôt dans le point de vue portée sur notre monde, ses travers, ses injustices, ses absurdités. Car derrière la violence imaginaire qui envahit la narration et qui sert d’exutoire à l’auteur par le biais de ses héros, se profile une violence beaucoup plus grave, que Burma dénonce sans ambages, et qui se trouve en prise avec notre actualité la plus brûlante, la plus dramatique aussi. A ce cocktail politico-policier, il faut ajouter une bonne dose d’érotisme et une rasade de morale libertaire, assez roborative au demeurant. L’anarchie : une belle utopie pour ces lieux fictionnels où la justice finit par triompher, la bonne cause par obtenir gain de cause et le bon, qui se veut libre, par l’emporter. BTN
Passons au deuxième ouvrage, en attente de publication.
Voilà, comme on dit, un roman qui décoiffe. On y est habitué avec Serguei Dounovetz , lequel embarque son lecteur dans une histoire dans laquelle il ne faut pas se poser trop de questions : simplement la vivre au présent, se laisser porter par sa petite musique, on est là pour le plaisir immédiat; pour la spéculation intellectuelle on ira voir ailleurs. En fait, Sergueï nous balade dans tous les genres qu’il apprécie et qui relèvent de sa culture cinématographique. Le cadre choisi, le Texas nous fait penser au western et ses chasseurs de prime, mais s’y mêlent des histoires de vampires saupoudrées de pornographie, de trafics d’organes et de consommation de drogues. Le héros est un de ces durs à cuire, têtu comme une mule, le type même du looser qui finit pourtant par trouver l’équilibre dans un amour de jeunesse retrouvé. Dans ce livre, les morts ressuscitent, les groupes inconnus défraient les faits divers et les manchettes, une photo opportune suffit à assurer une stable notoriété. Les puissants manipulent, les flics s’avèrent des sadiques invétérés, les indiens violent parce que c’est dans leur nature. On comprendra que Sergueï Dounovetz se moque de la vraisemblance comme de sa dernière bière. Rentrer dans un tel roman, c’est s’ouvrir à une dimension intermédiaire, un monde à part, dans cet espace d’entre deux qu’habitent les vampires, ces morts qui nous hantent et n’en finissent pas de nous pomper l’énergie. Tout y est permis et les personnages peuvent bien passer l’arme à gauche puisqu’après tout ce ne sont que des créatures de papier, de fiction, de French pulp même. On est menés à un rythme trépidant, on ne s’ennuie pas une seconde et l’on a du mal, un peu comme dans certaines séries télévisées, à lâcher le fil qui vous tient en haleine, l’histoire, constamment sujette à rebondissements. En fait, le livre fait la navette entre les années 80, devenues culte, et les années 2000, avec leur nostalgie, les regrets, une volonté toutefois d’aller de l’avant, quitte à monter la pire escroquerie de l’histoire du R’n’R. A l’instar du rôle dévolu à chacun, on est en permanence dans l’illusion, dans du trompe l’œil, les choses ne se sont pas forcément passées telles qu’on a cru le vivre. Et comme le roman se déroule en gros selon le point de vue omnipotent du protagoniste, le lecteur découvre en même temps que lui, les multiples surprises qui jalonnent son itinéraire, peuplé d’aventures érotico-sentimentales, de petits bâtards laissés pour compte, de dettes à payer injustement aux autorités. Il me serait facile de résumer le scenario et ses morceaux de bravoure, violents ou gore, mais il vaut mieux laisser le lecteur découvrir les épisodes où l’on voit deux êtres qui se croyaient à jamais perdus l’un pour l’autre, se rejoindre à la fin, pour un happy end relatif. Avec une interrogation contenue dans le titre : Où vont-ils bien pouvoir se marier si… les gens sérieux ne se marient pas à Végas. (BTN)
Nestor Burma, Les loups de Belleville, par Serguei Dounovetz, French pulp eds (paru)
Les gens sérieux ne se marient pas à Végas, French pulp Eds.
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