Le défi de cette année, ne passer que trois jours au Printemps des Comédiens. Que choisir parmi les vingt-huit spectacles ? Et quelles dates ? Molière évidemment en cette année anniversaire ! Alors pourquoi pas Le ciel, la nuit et la fête le 3 juin à l’amphithéâtre d’O ? Les marathons, on aime beaucoup, là 6h30 avec entractes, une bagatelle. Au menu Le Tartuffe, Dom Juan et Psyché, mise en scène du Nouveau Théâtre populaire. Une vraie troupe, esprit tréteaux, peu ou pas de décor, des costumes glanés chez les voisins, les pièces sont choisies par l’ensemble et l’un ou l’autre met en scène. Si on perdait un peu de texte dans Le Tartuffe, joué en bi frontal, le plus souvent parallèle au public, on était plongé tout de suite dans le bain de la farce, avec un Tartuffe, crachotant covidien, en fauteuil roulant, désopilant. Pendant l’entracte d’une heure, si le public en profitait pour se restaurer, les comédiens animaient une Radio Grand Siècle, ludique et Moliéresque. Le dispositif, légèrement transformé, pour Dom Juan, qui court d’une conquête à l’autre flanqué de son fidèle Sganarelle, faisait monter d’un cran le bonheur de retrouver cette pièce débordante de scènes culte. La rencontre avec les paysannes, le discours de Sganarelle, les lamentations d’Elvire, le Festin et la scène finale qui voit s’envoler les gages du malheureux serviteur. Quelle santé, quel tempérament. Jubilatoire. Moins souvent jouée, Psyché, autorisait tous les délires. Une histoire d’amour contrarié sur l’Olympe, où les dieux se mêlent des sentiments des humains et les manipulent. Les comédiens se sont complétement lâchés, un vrai délire mythologique, musical et dansé. Une sorte d’apothéose folle. À revoir ou à découvrir cet automne à Montpellier au Théâtre Jean-Claude Carrière.
Le 4 juin, notre choix s’était porté sur Histoire de la Littérature allemande, la dernière création de Julien Gosselin découvert avec Les Particules élémentaires et 2666, un des plus grands talents de sa génération. Las, à cause de ce foutu Covid, la représentation a été annulée. Où aller ? Dans son silo intrigant, L’absolu, un spectacle de théâtre cirque méthaphysique de Boris Gibé, s’est imposé. Curiosité satisfaite, le public est fort mal installé sur des strapontins placés le long des marches d’un escalier en colimaçon à double révolution comme à Chambord, impossible de s’asseoir pour des personnes en surcharge pondérable ou de taille supérieure à la moyenne. Penché au-dessus du vide, on découvre une piste ondulante comme le magma d’un volcan s’apprêtant à exploser, la tête de l’artiste finit par émerger, le corps entier, avant d’être à nouveau absorbé définitivement par le cratère. Le spectacle symbolise la lutte de l’humain face aux différents éléments : l’eau, le feu, l’air. De beaux moments de voltige aérienne, en contrepoint des acrobaties au sol. L’inconfort a sérieusement entamé notre plaisir.
Dans la journée, une visite guidée du Cabinet de curiosités proposé par Jean-Pierre Rose, réserve quelques belles surprises au milieu d’un fatras d’objets hétéroclites, dans un désordre savamment organisé parmi lesquelles le cure-dent, un peu émoussé, de Gargantua.
Avant d’assister à La Phèdre de Sénèque, mise en scène par Georges Ravaudant, passage au Théâtre Jean-Claude Carrière pour voir le film réalisé par Ephrem Koering autour de La rose et la Hache. Pour le plaisir de se replonger dans ce spectacle mythique interprété notamment par Ariel Garcia-Valdès et Georges Lavaudant dans la peau de Marguerite. Beau travail sur les visages expressifs et expressionnistes. On retrouve donc Astrid Bas (Elisabeth dans la Rose), dans le rôle de Phèdre au Chai. La langue de Sénèque, dru et rugueuse. La mise en scène de Lavaudant, épurée, austère selon ses propres mots, convient parfaitement à ce texte. On revient à l’origine du théâtre, la parole d’un auteur et des comédiens pour la livrer, sauvage et limpide. Dans ce grand dépouillement, les artistes sont bien là physiquement dirigés avec précision et efficacité. Mention spéciale à Astrid Bas, une Phèdre brûlante et à Maxime Taffanel en Hippolyte qui confirme ici son talent. Une pure merveille. Il fallait bien remonter l’allée de pins d’Alep en traversant tout le parc, magnifiquement restauré pour se préparer au dernier spectacle du jour.
Aux antipodes de Phèdre, Les gros patinent bien fait tordre de rire les spectateurs. Choisi avant qu’il ne soit auréolé de son Molière, en souvenir Pantagruel, Ubu et Orgueil, poursuite et décapitation. Olivier Martin-Salvan, le gros ne bouge pas, il effectue un voyage immobile des fjords de Finlande à la meseta espagnole, c’est du moins ce que nous explique Pierre Guillois avec ses cartons. Une avalanche, symbolisant tour à tour les étapes de l’expédition du héros à la recherche de la sirène perdue et de son coca cola, car il est américain. Il chante son amour, version folk. Il emprunte toutes sortes de moyens de transports, ferry, avion, vélo, baudet. Il affronte vagues et tempêtes. Il rencontre des animaux, des autochtones, dans des paysages de rêve. Autant de cartons que de situations nouvelles. Plein d’humour, de gags plus ou moins inattendus, plein d’imagination. L’amphithéâtre hilare jusqu’à l’épilogue et au bis, complice consentant de son plein gré, ovation debout, rare pour un spectacle « pas sérieux », même si au passage on dénonce mine de rien les grands maux qui empoisonnent notre existence, telles que dictature, consommation à outrance, réchauffement de la planète. On aurait bien réclamé un ter !! Faute de mieux, on peut les poursuivre à Figeac, le 28 et 29 juillet. Après un bref passage à la librairie de Laurent Lalande pour un réassort de livres, un dernier verre sous la pinède avec Carmen, la maman toujours pétillante de Jean Varela … Il faut quitter ce parc enchanteur. Bilan de ces trois jours : exceptionnel.
Marie Christine Harant
Plus d’informations sur le Printemps des comédiens : printempsdescomediens.com
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