L’Île d’or, un rêve éveillé
Par cars entiers, de Rodez, de Narbonne, de Carcassonne, ils sont allés au théâtre de La Cité pour assister à l’événement de la saison, L’île d’or, dernier spectacle d’Ariane Mnouchkine. Le Théâtre du Soleil a investi entièrement le bâtiment pour recréer l’ambiance si particulière de La Cartoucherie.
Dès l’entrée le public est accueilli par des membres de la troupe, certains ont eu la chance de croiser Ariane Mnouchkine. Le hall, est transformé en guinguette japonaise avec lanternes en papier blanc et stands de sushi, et autres délices japonais, thé, mais pas de café. Les yeux pétillent du bonheur d’être là, de partager en toute convivialité, l’attente d’entrée dans la grande salle.
« Allo Astrid ? Oui je suis bien arrivée. » Sur son lit d’hôpital Cornelia, l’héroïne d’Une chambre en Inde est veillée par Gabriel, son (ange) gardien. Elle est malade. Elle se croit au Japon. Une première piste est clairement annoncée. Le spectacle est une invitation au voyage, au pays du Soleil levant. Et le téléphone devient un partenaire omniprésent de tous les protagonistes, y compris plus tard dans le bain de vapeur. Les comédiens s’expriment à la japonaise, les phrases sont structurées : complément, verbe, mises en forme par Hélène Cixous. On s’y habitue très vite.
Cornelia est metteuse en scène, un double d’Ariane, elle va faire répéter ses artistes. Son Japon ? Une île imaginaire inspirée de Sado qui a vu naitre le théâtre nô. Les habitants préparent un festival de théâtre, ils vont auditionner différentes troupes aux noms évocateurs : La Démocratie, Notre désir, troupe de Hong Kong ; La troupe municipale des petites lanternes démocratiques ; La Diaspora des abricots, troupe afghane en exil. Il sera donc question de politique, de dénoncer la tyrannie, les turpitudes, les plaies de notre monde. Deuxième piste. Mais là où certains metteurs en scène donneraient des leçons, la metteuse en scène le fait en finesse avec humour. Evidemment des entrepreneurs aux capitaux étrangers veulent saccager l’endroit en implantant un casino, troisième piste.
Les trois intrigues se croisent se télescopent en un désordre savamment orchestré qui est un hymne à un théâtre libre, généreux, heureux, populaire, tel que l’imagine Ariane Mnouchkine depuis ses débuts. Dans un décor somptueux, un entrepôt immense voué à la destruction, s’enchainent les scènes sur des estrades modulables que les comédiens assemblent en trottinant et en dansant. Lorsque s’ouvrent les portes apparaissent, un paquebot, le mont Fuji, des émigrés égarés sous la tempête… Des tableaux d’une beauté à couper le souffle, l’arrivée incongrue d’un hélicoptère, celle d’un dromadaire ou l’explosion d’un volcan, font suite à des passages dans les sento, sortes de bains publics, typiquement japonais. Entre Une chambre en Inde et L’île d’or il s’est écoulé cinq ans. C’est que le Coronavirus est passé par là, Ariane Mnouchkine n’a pas été épargnée. L’évocation de la pandémie, un moment fort, où la metteuse en scène s’exprime clairement sur la façon dont la maladie a été traitée, est confiée à la troupe des marionnettistes. La musique de Jean-Jacques Lemètre accompagne la représentation. Les danses traditionnelles indiennes.
Ce vibrant hommage au théâtre japonais s’achève en une danse nô, sur les ondes bleues, sous le regard attendris de trois gigantesques échassiers, des grues. Éblouis encore une fois par cette folle épopée burlesque, surréaliste, esthétique, jouée, dansée par trente-cinq comédiens venus des quatre coins de la planète. Trois heures de rêve éveillé.
MCH
Jusqu’au 27 novembre, Théâtre de La Cité, Toulouse. Tél. 05 34 45 05 05.
À partir du 9 décembre, La Cartoucherie, Vincennes. Tél. 01 43 74 24 08