Camille Claudel, Frida Kalho, Joséphine Baker… : l’époque actuelle nous a appris à considérer le parcours de toutes ces femmes, que le destin n’a pas épargnées et qui méritaient de se faire une place au firmament des personnalités admirables. Par ailleurs, le biographique est devenu un genre à part entière, étudié en tant que tel dans les lycées, et très apprécié du public. La personnalité de Sarah Bernhardt ne pouvait que fasciner Régine Detambel, par sa complexité, ses contradictions, son goût extrême de la liberté et aussi dans sa manière d’aborder sa fin de vie, problème auquel on sera tous un jour ou l’autre confrontés.
Sauf que l’auteur(e) a choisi un angle particulier afin de tenter de cerner son personnage : le point de vue d’une amante délaissée, devenue la femme à tout faire de celle que l’on nommait, à l’extérieur de la sphère privée, La divine. Ainsi voit-on la grande actrice de biais, plutôt côté coulisses, et en toute intimité, en toute subjectivité aussi, qui plus est féminine, Susan s’avérant en quelque sorte le contrepoint de Sarah. Régine Detambel a choisi de se concentrer sur les dernières années de l’existence de son modèle, dont n’oublions pas qu’elle est avant tout une tragédienne, à savoir une actrice amenée à jouer et rejouer maintes et maintes fois la scène de la mort des héroïnes, Phèdre notamment, qu’elle a incarnées.
Ce roman ne déroge point à la règle du théâtre classique en présentant le long déclin de la célèbre comédienne. Sarah Bernhardt était en effet une star avant la lettre, adulée autant que caricaturée (notamment pour ses origines juives). Mais c’était loin d’être une sainte, il s’en faut, ce que montre avec évidence le témoignage de la narratrice Susan, et ses choix n’étaient pas toujours judicieux : préférer Rostand ou Moreau, ou encore Sardou, au lieu de Tchékhov, Ibsen ou Strindberg (à qui Régine a consacré son excellent « Trois Ex »)… L’Histoire, de ce point de vue, ne lui aura pas donné raison. Sarah Bernhardt, qui aimait l’argent et en avait au demeurant besoin, ne serait-ce que pour entretenir les parasites (à commencer par son fils unique) avait très bien compris que, sans l’Amérique, il n’est point de salut. Sans la publicité et le soin méticuleux de son image non plus d’ailleurs. Son voyage outre-Atlantique, relaté dans ses grandes lignes (de chemin de fer), aura été une épopée du courage, de la souffrance mais aussi de l’égoïsme irresponsable, et pourtant triomphal.
Autrement, on y découvre la Sarah au quotidien, avec ses mesquineries et son sadisme, son appétit de vivre et ses traits de génie, ses fidélités et ses caprices. On fait connaissance avec son jeu, son regard, sa gestuelle et son art de surmonter, le temps d’une pièce, son handicap tragique, lui aussi. A l’instar de Susan, on a tendance à tout lui pardonner car c’est la Divine, quand même ! La divine qu’on aime… Même si elle est devenue une vieille dame quelque peu indigne, pas très conforme aux normes. Elle était artiste après tout, et pas seulement sur les planches, mais un peu dans tous les genres, écriture comprise.
C’est cette diversité, même si son jeu paraîtrait ridicule aujourd’hui, mais le mythe demeure, qui a séduit la romancière, laquelle a depuis belle lurette épousé la cause des femmes, de leurs petites fêlures et de leur façon de gérer leur corps. Et pour Sarah Bernhardt, amputée d’une jambe, c’était un combat de tous les jours, dont elle s’est sortie en définitive avec les honneurs. La preuve : on la célèbre encore aujourd’hui. Cent ans exactement après sa disparition. Quand même !
BTN
Ed Actes Sud