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L’Art-vues a lu : « Martienne ? » de Janine Teisson, par BTN

29 Fév 2024 | L'Art-vues a lu, Livres

En nous révélant sa condition de Martienne ?, Janine Teisson signe un de ces livres que l’on ne lâche pas jusqu’à son terme, que l’on n’oublie guère aisément, dont les morceaux de bravoure s’imprègnent dans notre mémoire de lecteur sur-pris, d’autant qu’il est judicieusement composé. Chaque chapitre de cette chronique d’une vie quelque peu originale est conclu par une brève allusion à l’actualité d’alors, ce qui met en contraste les destins, individuel et collectif.

La romancière choisit en effet d’égrener, année après année, de son point de vue singulier, le fil d’une existence que l’on pourrait dire décalée, en insistant sur certaines, vers la trentaine, plus fournies en anecdotes que d’autres, témoignant de cette différence qui la font passer pour une extra-terrestre. On pourrait même parler de diffErrance, tellement on la sent ballottée d’un univers à l’autre, sans qu’à aucun moment elle n’ait été en mesure de manifester son désir personnel ou ses choix. Au Maroc, durant l’enfance, en métropole suite aux événements, en Afrique centrale du fait d’un mariage prématuré, après une épique étape de noces en Corse, aux Antilles en raison des déplacements d’un mari pas toujours responsable mais souverain, en Afrique noire à nouveau où elle s’essaie avec bonheur à un enseignement expérimental. Mais il faut retourner au pays, dans un petit village du côté de chez nous, selon la volonté absolue de l’époux. Dur atterrissage et confrontation brutale avec la réalité brute. On sent une petite voix intérieure, féministe, s’immiscer dans la conscience de la femme muselée. Non par la violence mais par sa tendance permanente à culpabiliser. L’analyse est dès lors un précieux recours.

Dans ce « roman ? », l’introspection et la réflexion sur l’écriture tendent petit à petit à prendre le pas sur le biographique. La protagoniste de cette autobiographie partielle ne semble se révéler pleinement que grâce et par la littérature, sa seconde famille. Son écriture est ciselée en l’occurrence, sobre et précise. L’auteure ne s’engage jamais dans des périodes ambitieuses à rythme ternaire ou plus si affinité. Elles ne correspondraient pas à la relative simplicité d’une existence qui, même dans ses différences insignes, s’appuie tout de même sur une réalité des plus communes. Enfanter (dans des conditions inimaginables, il est vrai), aimer en sourdine, jouer les fées incontestées du logis, réagir aux deuils des proches, subir une opération… Avec quelques confrontations plus exceptionnelles au malheur : l’incendie qui, s’il épargne les êtres chers, n’épargne pas les personnages de mots.

Alors qu’elle fournit au lecteur des révélations d’ordre très intime, Janine Teisson demeure discrète sur sa sexualité d’adulte. Au demeurant, celle qui livre sa version érotique de Shéhérazade n’est pas forcément une libertine, contrairement à ce que pense le lecteur moyen. On en arrive à l’un des messages que nous délivre ce roman ( ?) : Ce livre prouve avec évidence que la personnalité profonde de l’écrivain, telle que ses œuvres la révèlent, ne doit point se confondre avec sa personne. C’est le sens du point d’interrogation derrière le titre Martienne ? Quand l’une souffre, l’autre arbore un éternel sourire. Mais sous l’apparence de l’éternelle soumise se révèle un trésor grouillant d’imagination que le travail littéraire est à même de métamorphoser en témoignage d’une Femme révoltée, pour reprendre et féminiser le titre de Camus. Et dont les livres peuvent, à leur échelle, faire bouger les choses. Tout écrivain est un être double. Celles et ceux qui écrivent le savent bien.

BTN

Ed. Chèvre-feuille étoilée

Plus d’informations : editionsfemmeschevrefeuille.fr

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