On imagine souvent le poète contemporain détaché de la vie quotidienne, épris d’abstractions ésotériques et, dans le meilleur des cas, évoluant dans un flux intempestif d’images post-rimbaldiennes. Nous avons à Montpellier un ancien machiniste à l’Opéra Orchestre national de Montpellier Occitanie, qui ne l’entend pas de cette oreille. Il sait pousser la parole poétique jusqu’au plus près du silence, à l’instar d’un murmure.
Je défie qui que ce soit parmi nos lecteurs de ne pas retrouver du vécu dans les poèmes en strophes ou en prose narratives – l’auteur qualifie son ouvrage de poésie-fiction – essaimés dans ce Bébé rose qui ne manque ni de réalisme ni d’humour. La lecture est assez simple, mais il est parfois plus difficile en poésie de faire simple que de chercher une complication qui rime avec absence de communication. Cela réclame non seulement de la rigueur mais aussi de la sobriété et surtout de l’humilité. Jean-Luc Caizergues ne choisit ni la versification traditionnelle, trop contraignante et éculée, ni la prose plus ou moins abstraite. Dans la majeure partie de son recueil, il adopte un système strophique récurrent, à base de tercets mais dont les vers sont réduits à quelques syllabes.
Cela constitue une sorte de contrainte à partir de laquelle l’écriture pourra s’articuler. C’est fluide, incisif et cela sonne comme une étincelle narrative qui atteint à chaque fois sa cible car elle est pertinente voire évidente (au sens éluardien du terme). Quelques mots suffisent pour esquisser une situation vaudevillesque qui précède la venue du héros éponyme, ce Bébé rose, pour qui la vie ne l’est pas forcément, telle qu’on nous la résume en ces quelque 140 pages.
Le cœur du livre, construit en triptyque et un épilogue, est constitué d’une séquence en prose, structurée en paragraphes, d’une précision redoutable qui elle aussi fait mouche, non sans cette cruauté dont parlait Artaud et qui caractérise l’existence primitive de ceux qui sont nés au mauvais moment au mauvais endroit. Sans pour cela renoncer à la distance qui ouvre les voies de l’ironie ou de l’humour, parfois noir, dont le poète s’est rendu maître.
Les deux dernières parties délaissent quelque peu le réel pour l’imaginaire, explorent la férocité humaine telle qu’elle se reproduit dans une enfance qui décidément ne rime pas non plus avec ange. L’auteur sait l’art si rare de la concision extrême, sans doute un peu extrême oriental, de créer des situations cocasses et qui dérangent. Mais c’est énoncé tel un chuchotement qui tranche avec le vacarme des médias. On est dans l’enfance de l’art et dieu sait si l’enfance est riche de sa polymorphie et de ses ambivalences. Voir Freud pour ceux qui connaissent. Car Ros(s)e c’est la vie.
BTN
Collection Poésie Flammarion, dirigée par Yves di Manno.