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Festival In : des origines de l’humanité jusqu’à son extinction

18 Juil 2023 | Festivals, Spectacles vivants, Théâtre, Vaucluse

Le festival d’Avignon se met en quête des origines humaines avec le très beau Néandertal de David Geselson, tandis qu’avec Extinction Julien Gosselin annonce la fin dun monde, celui de la petite bourgeoisie viennoise du début du 20ème siècle. A la carrière de Boulbon, Le Jardin des Délices de Philippe Quesne a lui aussi un petit goût de post-apocalypse.

Extinction

  On ne peut s’empêcher de penser aux Damnés de Visconti joué dans la Cour d’honneur du Palais des Papes en 2016 par les acteurs de la Comédie française qui retraçait la montée du nazisme en Allemagne et les compromissions d’une bourgeoisie décadente et fêtarde. On ressent la même sourde menace, la même inquiétude dans Extinction de Julien Gosselin. On est à Vienne dans le début des premières années du 20 siècle, le nazisme est encore loin mais le ventre de la bête commence à être fertile, alors même que la culture européenne est à son apogée dans cette capitale. C’est dans cette atmosphère délétère que de grands bourgeois donnent une fête dans une belle demeure art déco, avec une foule d’invités qui ripaillent à l’intérieur. On ne les voit pas ou bien rarement, quand ils vont aux toilettes ou se réfugient dans les chambres. Ils sont suivis, traqués devrait-on dire,  par une caméra qui filme leurs faits et gestes restitués en noir et blanc sur un écran au-dessus de la scène. Un peu à la manière des cinéastes nordiques réunis sous le manifeste Dogme95 autour de Lars von Trier et Thomas Vinterberg, caméra à l’épaule, avec la même esthétique expressionniste.

  On pressent le drame à chaque instant. Tous ces gens qui entretiennent des rapports manifestement toxiques foncent résolument vers la catastrophe la tête la première, emportés par une pulsion de mort, dans un grand règlement de comptes ou pour solde de tout compte. Il y a de l’alcool, du sexe et du sang, de la violence dans l’action et des sentiments, on y parle psychanalyse et on joue de la musique pour tuer le temps avant de s’entretuer joyeusement, sans véritable émotion. A peine entrevoit-on la nature des relations des personnages, aussi frivoles que tragiques, qu’on passe à autre chose, dans un vertige de plans-séquence qui conduit vers une issue que l’on devine fatale. Une extinction.

  Précédé d’un concert techno d’une heure et clôturé par un long monologue, le spectacle se déroule sur un rythme fou, adapté de textes de Thomas Bernhard et d’Arthur Schnitzler joué dans les deux langues par les comédiens français de Josselin et ceux de la Volksbûhne de Berlin. On en ressort un peu sonné, saoulé d’images qui nous privent trop longtemps du corps des acteurs. Avec à la fois une impression de vide et de trop plein, comme une gueule de bois.

Neandertal

D’une apocalypse l’autre, celle-là ne dure pas longtemps, le temps pour un couple de chercheurs de rester piégés dans un abri antiatomique et de devenir amants. Nous sommes en 1986, la centrale nucléaire de Tchernobyl vient d’exploser et Rosa et Lüdo se retrouvent enfermés le temps d’une alerte. La femme vomit de panique tandis que son collègue essaie de la rassurer, ce qui donne lieu à des échanges drolatiques qui nous plongent dans le noir tout en nous éclairant sur la psychologie des personnages dont le rapprochement intime va vite se révéler explosif pour leurs couples respectifs. On les suit dans leur périple scientifique – ils effectuent une recherche sur la disparition de l’homme de Néandertal et de ce qu’il en reste dans l’ADN de l’Homo sapiens – ainsi que dans démêlés familiaux. L’enquête scientifique va les faire voyager des Etats-Unis à Zagreb en évoquant un détour par Israël, état sur lequel s’attarde la pièce avec des archives d’actualités politiques qui retracent notamment le conflit au Proche-Orient, notamment le climat de haine qui conduira à l’assassinat par un extrémiste israélien du Premier ministre Yitzhak Rabin en novembre 1995 à l’issue d’une manifestation pour la paix. L’auteur et metteur en scène David Geselsonquestionne ici l’identité juive, et l’on sent que cette interrogation reste chez lui comme une plaie ouverte.

  Cette saga foisonnante pour cinq personnages nous mène de péripétie en péripétie, d’un pays à l’autre sans rien occulter ce que ces changements de trajectoires induisent comment changements dans l’itinéraire sentimental de chacun. Spectacle enthousiasmant, Néandertalréussit le tour de force d’allier la rigueur scientifique et la fiction théâtrale et c’est une vraie réussite. Les comédiens ont en effet travaillé deux ans en compagnie de chercheurs pour se familiariser avec le langage scientifique et les manipulations en laboratoire, à l’image de celui qui est installé sur la scène et qui en constitue le décor principal.  Avec pour résultat ce bijou théâtral, brillant comme cette météorite dont le metteur en scène de Néandertal offre un petit morceau à chacun des spectateurs à l’entrée de ce spectacle magistral, aussi drôle qu’émouvant et intellectuellement jubilatoire.

Le Jardin des Délices 

A quoi ont-ils survécu ou échappé ? C’est la question qu’on se pose en voyant débarquer ce groupe d’individus à bord d’un bus qui échoue au milieu de la carrière de Boulbon comme en plein désert. Garés autant qu’égarés dans ce cul-de-sac, en panne sans doute d’humanité. Il y a un petit côté Death Valley californienne que soulignent les Stetsons et accoutrements post-hippies des protagonistes de ce Jardin des Délices, référence au chef-d’œuvre énigmatique de Jérôme Bosch conservé au musée du Prado de Madrid. Enigmatique, ce spectacle l’est aussi jusqu’à laisser le spectateur perplexe devant les étranges cérémoniaux qui s’y déroulent. On assiste ainsi successivement à un concert de guitare et flûtes, à l’exploration d’un œuf monumental posé au milieu de la carrière, à des prises de parole dans le style séance de développement personnel jusqu’au dénouement du spectacle, il se passe peu de choses avant, où les comédiens ont revêtu des costumes moyenâgeux, citation des personnages de la toile du maître. Ils entreprennent alors de grimper la falaise de la carrière à l’aide d’échelles dont la taille est dérisoire comparée à la hauteur défiée. « Lasciate ogni speranza », abandonnez tout espoir, comme le dit Dante à ses personnages pénétrant dans les cercles de l’Enfer dans la Divine Comédie. Avertissement qui pourrait servir aux personnages de la pièce de Philippe Quesne autant qu’aux spectateurs, aussi égarés que les premiers, dans ce spectacle qui tient plus du purgatoire que de l’enfer tant on y crève d’ennui.

Carrière de Boulbon à 21h30 jusqu’au 18 juillet

Luis Armengol

CatégoriesFestivals | Spectacles vivants | Théâtre | Vaucluse

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