Convulsions
Comme en écho au Thyeste de Thomas Joly dans la Cour d’Honneur, l’Ensemble Atopique II joue Convulsions qui revisite un épisode de la Tragédie des Atrides où Atrée et Thyeste assassinent leur bâtard de frère et ne vont pas s’arrêter en si bon chemin. Torture, infanticide, adultère et cannibalisme figurent au menu de cette pièce écrite par Hakim Bah et mise en scène par Frédéric Fisbach. Cela pourrait ressembler à un fait divers sanglant écrit par un Sénèque qui pigerait pour Détective, décrivant avec force détails le destin d’une famille maudite marquée par le meurtre. Mais la pièce ne fait que puiser dans la mythologie grecque pour mieux nous entretenir des violences d’aujourd’hui, qu’elles soient familiales, conjugales, sociales ou économiques.
Ce Convulsions, fait de la chair de nos cauchemars contemporains, est tout simplement remarquable. D’abord par la vitalité du jeu des comédiens qui répond à l’urgence d’une écriture apte à décrire le chaos d’un monde régulé par la violence des rapports humains. Ensuite par le procédé théâtral qui consiste à redistribuer en permanence les rôles, ce qui crée une distance juste entre comédiens et personnages, entre drame et comédie, entre trivial et sacré, à la limite parfois du grand-guignolesque. Le feu nourri des dialogues émaillés de didascalies prend le spectateur à témoin d’un jeu de massacre où l’on passe de l’horreur au rire, façon d’accepter l’inacceptable, l’insoutenable inhumanité de notre humanité. C’est fort, aussi ludique que cruel, d’une évidente nécessité. On est subjugué par le talent individuel et l’énergie collective des comédiens, l’inventivité de la mise en scène, la beauté convulsive de l’écriture. Un bijou dans le Off.
Au Théâtre des Halles à 19h30 jusqu’au 29 juillet.
La Putain respectueuse
Lizzie : Je veux dire la vérité. – Fred (client et fils du sénateur) : La vérité ! Une putain à 10 dollars qui veut dire la vérité ! Il n’y a pas de vérité : il y a des blancs et des noirs, c’est tout. Dix-sept mille blancs, vingt mille noirs. Nous ne sommes pas à New-York, ici : nous n’avons pas le droit de rigoler… »
Voilà planté le décor de La Putain respectueuse, pièce écrite en 1947 par Jean Paul Sartre, basée sur une histoire réelle survenue quelques années auparavant dans une Amérique où le lynchage de nègres est alors un sport national, où le sexe et la politique font bon ménage avec l’ordre moral et où un neveu de sénateur ne peut évidemment pas finir en taule à cause du meurtre d’un homme noir.
C’est ce que raconte la pièce située dans une petite ville du sud des États-Unis où deux noirs en cavale sont accusés d’un viol qu’ils n’ont pas commis. L’un est tué, l’autre se réfugie chez Lizzie, une prostituée qui vient de débarquer en ville. Le cousin du meurtrier et son sénateur de père vont tout faire pour la persuader d’accuser « le nègre ». Lizzie refuse d’abord, puis finit par s’arranger d’un mensonge qui va la perdre.
Sartre ne fait pas dans la dentelle dans cette pièce où le Diable et le Bon Dieu se canardent à balles réelles, où les stéréotypes sont autant de munitions au service d’une cause : la dénonciation des tares d’une société raciste, d’hier et d’aujourd’hui, où il ne fait pas bon être nègre ou femme. Le manichéisme a toujours l’alibi de l’efficacité, mais il peut devenir rapidement ennuyeux. Ce n’est pas le cas dans cette Putain respectueuse montée par Gérard Gélas, au rythme de thriller riche en coups de théâtre, portée par la comédienne Flavie Edel-Jaume, d’une présence épatante, qui incarne Lizzie avec un talent insolent.
Au Chêne Noir à 19h15 jusqu’au 29 juillet
La Fugue
Un bureau d’association où s’affairent quelques personnes, les « restants », occupés à la recherche de proches disparus, les « évaporés ». On y attend des coups de fil qui ne viendront jamais, on y évoque la personnalité des fugueurs, leurs motivations supposées sur lesquelles plane un mystère jamais résolu.
La pièce de Lolita Monga, auteure réunionnaise, nous entretient du marronnage, historiquement cette fugue des esclaves du temps de la colonisation, sous ses formes plus modernes : se soustraire volontairement de la société, de son entourage professionnel ou familial pour rejeter toute forme d’oppression, politique, domestique ou communautariste. Qui sont ces évaporés d’aujourd’hui qui se volatilisent soudain, que fuient-ils vraiment ? Comment les proches, parents ou amis, vivent-ils cette fugue inexplicable, inacceptable ? L’intérêt de la pièce est d’essayer d’approcher, par touches intimistes, la vérité de cette disparition, véritable fait sociétal à la Réunion comme ailleurs, cette éclipse qui brûle les yeux des familles en les interrogeant.
Un éloge de la fuite, sentier chaotique sur lequel d’excellents comédiens s’offrent pour guides, dans une langue chatoyante qui mêle le français et le créole, montre autant qu’elle suggère, et où la musique des mots, plus vraie que tous les mensonges du théâtre, s’affranchit du sens immédiat au profit d’un imaginaire vaste comme un océan.
« Aujourd’hui, l’actualité et le quotidien regorgent de ces figures de maronaz, que ce soit ces jeunes qui reprennent la route d’oasis en oasis en quête de sens, ces autres qui se regroupent pour défendre un territoire devenu symbole politique et poétique, ou encore de ces multiples en « apnée sociale » qui se cherchent une identité dans une économie de survie précaire et fragile » dit Lolita Monga. On comprend alors que tous ces évaporés ont voulu disparaître d’eux-mêmes pour mieux construire leur identité.
Au Chien qui Fume à 15h45 jusqu’au 29 juillet.
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