Il fait partie de ceux qui dansent au dessous du volcan. Chef de file du flamenco contemporain, Israel Galván ouvre la voie, s’aventure à la marge du genre, en éclaireur, passeur de frontières clandestin. Le flamenco est aussi une affaire de contrebandiers. Dans la cour d’honneur du Palais des Papes, il est au pied du mur, face à un public qui l’a découvert dans le In avignonnais en 2009, dans la carrière de Boulbon où il dansait l’Apocalypse de Saint Jean. Ce type voulait être footballeur, seulement voilà, il s’appelle Galván, un nom qui représente un pan de la culture flamenca en Andalousie, on ne plaisante pas avec ces choses-là. Tu seras danseur, mon fils, comme ton père et ta mère, José Galván et Eugenia de los Reyes. Alors Israel décide de la jouer comme Galván, comme s’il mettait sa vie en jeu dans la surface de pénalty, au bord du déséquilibre, en créateur qui ne triche pas avec la création, cette surface de réparation. Aujourd’hui c’est une star, comme celles du football, il envoie le ballon sur la lune, celle des Lorca et des poètes espagnols. Une lune noire dans un ciel qu’il zèbre de ses éclairs de génie. Un bruit de talons, zapateado, chasse les martinets de la cour d’honneur qui s’enfuient effrayés. Des grappes de spectateurs vont malheureusement en faire de même au cours du spectacle, le bruit de leurs pas sur les escaliers de la cour se mêlant à celui des talons de l’artiste. Comme tout hidalgo qui se respecte, Israel Galván prend possession d’un royaume imaginaire, figure quichotesque lancée dans une quête éperdue. Il arpente toute l’étendue du répertoire en quelques gestes, il fend, il taille, il coupe, il tranche. Son art est celui de l’ellipse, comme un maître d’art martial qui abolit la forme au bénéfice du sens. Le sens, le public, même le plus acquis, le cherche désespérément, avidement, tout au long de cette « Fiesta » qui convie plusieurs danseurs et musiciens, dont quelques légendes du flamenco comme le Nino de Elche.
Mais qui laisse à la porte une bonne partie des spectateurs, tant l’ésotérisme des tableaux imaginés par le maestro est difficile à percer, pareil à une muraille de signes infranchissable, comme un double du grand mur de la cour. Le danseur sévillan emprunte des chemins de traverse, il explore, mais il se perd et divague, sur la trace de quelque itinéraire secret. « La Fiesta » est censé faire référence à la fin des concerts de flamenco, quand les artistes se livrent à tour de rôle à un petit numéro, souvent à contre-emploi pour le clin d’ici et la dérision. Ici, un chanteur se jette contre une table, une diva erratique, à la voix fort jolie, se lance dans des mélopées méritoires, telle un échappé du Tour de France, et deux palmeros jouent les Marx Brothers en goguette une nuit au Palais des Papes.
« La fête est synonyme d’ensemble, de groupe, d’émotion. Il y a aussi la fiesta entre les artistes après le spectacle, dans l’arrière salle des tablaos. Mon intention est d’inviter le public à regarder par le trou de la serrure cette fête intime« , disait Galván avant la première. Oui mais voilà, à Avignon, et surtout dans la cour, le théâtre est une fête dans laquelle artistes et spectateurs sont associés. Rien de cela ici, et finalement, beaucoup de bruit pour rien.
Luis Armengol
Fiesta au palais des papes d’Avignon, jusqu’au 23 juillet à 22h.