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Au festival d’Avignon, les aventuriers du genre perdu

16 Juil 2018 | Festivals, Spectacles vivants, Théâtre

Laboratoire à ciel ouvert de la création contemporaine, le festival d’Avignon conduit le public sur des chemins qui sollicitent de sa part autant de curiosité que d’audace et d’endurance. Cette 72ème édition n’a pas échappé à la règle en choisissant le genre comme thématique transversale. On la retrouve donc dans beaucoup de spectacles du In, à commencer par le feuilleton théâtral Mesdames, messieurs et le reste du monde proposé par le metteur en scène David Bobée, tous les jours à midi depuis le début du festival, qui explore le genre dans tous ses états. Un succès manifeste, comme tous les précédents feuilletons programmés par Olivier Py et proposés gratuitement au public. Au bilan artistique de l’actuel directeur du festival, il faudra résolument mettre cette forme légère qui explore un thème en plusieurs épisodes tout au long du festival et embarque les spectateurs dans une aventure aussi légère qu’édifiante.

Des aventures, le festival n’en manque pas. La Reprise de Milo Rau a partagé le public en confrontant le théâtre avec le réel sous sa forme la plus violente. En l’occurrence le meurtre d’un homosexuel à Liège en 2012 que le metteur en scène suisse montre ici dans ses aspects les plus sanglants. Comment représenter la violence sur scène en dépassant le voyeurisme pour atteindre à une catharsis qui est au cœur des origines les plus anciennes du théâtre ? Milo Rau ne fournit pas une réponse totalement claire, car difficile ici de faire la part entre imitation et représentation. Autres gens peu tranquilles, la famille des Atrides qui s’écharpe dans Thyeste joué dans la Cour d’Honneur. Le metteur en scène Thomas Jolly ne réédite pas son immense succès d’un précédent festival, le Henry VI d’une durée de 18 heures, ancré dans les mémoires. Mais il satisfait cependant le public convié à un festin particulier : Thyeste mange ses trois fils que son frère Atrée a tués, dépecés et fait cuisiner. Il faut tout le talent du chef pour faciliter la digestion, et Thomas Jolly n’en manque pas pour relater l’hallucinant récit de Sénèque qui s’élève dans la nuit avignonnaise comme un chant maudit.

On attendait l’espagnole Rocio Molina, icône du flamenco contemporain, avec son Grito Pelao donné dans la Cour du Lycée Saint-Joseph, dans une superbe scénographie. On a retrouvé intactes les qualités de la maestra de Malaga, son énergie, la force percussive de ses pieds, son extraordinaire travail des mains et l’originalité de son écriture corporelle. Grito Pelao illustre un nouveau mot dont s’est enrichi le vocabulaire français à l’ère des réseaux sociaux : l’extime, qui a effacé l’intime, où la sphère privée devient transparente pour afficher ses états d’âme et ses choix de vie. Du grand déballage. La chorégraphe flamenca, enceinte de quatre mois, n’hésite pas à faire écouter en direct au public les battements de cœur de l’enfant qu’elle porte. Elle met en scène sa solitude de femme célibataire et homosexuelle, son désir d’enfant et sa grossesse. A ses côtés, sa mère Lola Cruz, ainsi que la chanteuse catalane Silvia Perez Cruz, d’une présence magnifique soutenue par quatre musiciens qui veillent au grain. Souvent fascinant de beauté, Grito Pelao nous laisse parfois hésitants sur le pas d’une porte qu’on n’a pas toujours envie de pousser.

Autre spectacle hispanisant, Romances Inciertos, un autre Orlando, de François Chaignaud et Nino Laisné, qui a fait l’unanimité au Cloître des Célestins, avec l’évocation de la Doncella Guerrera, figure médiévale, du San Miguel de Garcia Lorca, archange voluptueux et objet de dévotion, et de la Tarara, gitane andalouse mystique. Une épopée superbe, faite de danse et de chants pour évoquer l’androgynie et la métamorphoses des identités. Métamorphose que l’on retrouve dans Trans (Més enllà) de Didier Ruiz, où des hommes et des femmes venu.e.s de Barcelone parle de la transformation d’un corps longtemps vécu comme une prison. Ces aventuriers du genre perdu expriment leurs doutes, les étapes d’un processus qu’ils ont désiré, un sentiment de libération.

Très attendu, le spectacle mis en scène par Julien Gosselin Joueurs, Mao II, les Noms, d’une durée de 10 heures, a séduit. On y retrouve avec enthousiasme les comédiens brillantissimes de la compagnie Si vous pouviez lécher mon cœur, qui a déjà fait ses preuves à Avignon avec Les Particules Elémentaires et 2666. Un travail d’acteurs phénoménal qui force l’admiration tout au long d’une traversée épique empruntant autant au cinéma qu’au théâtre. Les imperfections éparses ne font que mieux souligner la réussite d’un projet ambitieux. Le metteur en scène croise trois œuvres de l’auteur américain Don DeLillo pour tisser une intrigue dramatique qui évoque le terrorisme des années 1970 à 1990. Jeu des comédiens, variations dans l’espace et le temps, géniale scénographie d’Hubert Colas dont la cage qui sépare sur le plateau les espaces de jeu restera dans les mémoires, lumières et musique nous transportent dans un univers où fiction et réel entraînent le public dans un face à face passionnant.

D’autres spectacles à voir dans ce festival d’Avignon, désormais à mi-parcours, liste non exhaustive : Pur Présent d’Olivier Py, Les choses qui passent d’Ivo Van Hove, Léonie et Noélie de Nathalie Papin, Tartuffe d’Oskaras Korsunovas, Saison Sèche de Phia Ménard, 36,Avenue Georges Mandel de Raimund Hogue, Mama de Ahmed Et Attar, Arctique de Anne-Cécile Vandalem.

Luis Armengol

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