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Exposition « L’art aborigène » au musée Paul Valéry à Sète : entretien avec le collectionneur Pierre Montagne

5 Août 2021 | Hérault, Les interviews

Collectionneur passionné par l’art contemporain, Pierre Montagne s’intéresse également aux civilisations, notamment les Aborigènes. Au musée Paul Valéry, le public peut découvrir une partie de sa collection autour de ce peuple d’Australie. Dans cet entretien il évoque cette civilisation ancienne et son lien à l’art : des premières oeuvres jusqu’aux artistes contemporains.

Comment est né votre intérêt pour l’art aborigène ?

Je suis un collectionneur de très longue date. Il y a une dizaine d’années, j’ai décidé de monter des collections répondant chacune à la question suivante : « Quels humains contemporains nous transmettent les sources les plus originelles de l’expression humaine enfouie ? ». J’ai ainsi plusieurs collections répondant à cette question : art contemporain africain, art papou et art aborigène, ainsi que des collections de plusieurs artistes tels que André Cervera, Karl Gietl, Brice Poircuitte. Personnellement, je me sens en vibration avec des civilisations océaniennes et plus particulièrement les Aborigènes d’Australie.

« Certaines oeuvres sont sacrées et ne relèvent que d’initiés »

En quoi les Aborigènes d’Australie se distinguent-ils actuellement des civilisations anciennes ? 

Depuis plus de 50 000 ans ce peuple vit en Australie au gré des glaciations, des mouvements des plaques tectoniques et des bouleversements de la nature. Il n’y a que 6000 ans environ que l’Australie que nous connaissons s’est constituée avec la montée de la mer. On n’a pas d’équivalent humain actuel sur une si grande surface. Les aborigènes vivaient en symbiose avec la nature, chasseurs-cueilleurs semi nomades. Point de pyramide, de palais ou de vestiges tels qu’en Egypte, en Amérique centrale et du sud, en Europe… Cette civilisation vivante aujourd’hui est facinante et il ne faut pas oublier que des Anglo-saxons ont failli la faire disparaître dans le passé…

Votre collection regroupe des artistes originaires de différents territoires aborigènes. Peut-on trouver un ou plusieurs liens entre leurs œuvres ?

Les liens entre régions émanent d’une mythologie partagée, c’est le Temps du Rêve (dreamtime aborigène). Le monde a vu le jour à une époque où les ancêtres vivaient sous forme animale. Au fil de leurs déplacements, ils ont constitué le paysage et tel rocher, tel trou d’eau, telle rivière sont l’émanation de leur comportement magique.
Les oeuvres de chaque région nous parlent de la création, du déplacement des clans, de la nature… Des sites sont sacrés, les initiés savent, les secrets sont bien gardés. Des explications sur certaines oeuvres ne sont pas données car elles sont sacrées et ne relèvent que d’initiés. Dans le Nord, on trouve une expression plus figurative avec des représentations animales ou divines issues de la mythologie.

« À Utopia, la tradition picturale est d’abord féminine, car les femmes sont aussi détentrices de savoirs hérités. »

On trouve également de nombreux artistes féminines, dont certaines ont aujourd’hui une renommée internationale. Quel regard porte la communauté aborigène sur ces femmes artistes ? 

Traditionnellement les arts étaient dévolus aux hommes, seuls initiés aux secrets les plus importants. Aujourd’hui, les femmes du désert produisent autant que les hommes. C’est une caractéristique unique dans l’histoire de l’art, avec des femmes créatives et de talent. Sachez également que l’artiste est propriétaire de ses récits hérités et transmis par genre dans une configuration complexe bien éloignée de nos conceptions familiales occidentales. A Utopia, la tradition picturale est d’abord féminine, car les femmes sont aussi détentrices de savoirs hérités. Emily Kame Kngwarreye, Kathleen Petyarre et Dorothy Napangardi ont connu la consécration internationale. Notons enfin que les rapports financiers des ventes vont en général dans la communauté. A cela s’ajoute un regard respectueux, bienveillant et admiratif sur ces femmes artistes.

A travers l’exposition présentée au musée Paul Valéry, on découvre notamment un mouvement artistique créé dans les années 1970 par la communauté aborigène de Papunya. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce mouvement et ce qui le caractérise ? 

Dans les années 70, un événement fort advient. Des occidentaux dont l’instituteur Geoffrey Bardon encouragent les artistes locaux à transférer sur des supports modernes leurs transcriptions : toiles, contre-plaqués, papiers, batik, tout cela en utilisant l’acrylique. Ainsi naît l’art, transmissible aux temps modernes dans le désert central.
Ces communautés artistiques sont situées autour d’Alice Spring où aujourd’hui sont installées de nombreuses galeries spécialisées. Papunya, 300 habitants, est à 250 km au Nord-Ouest de la ville. C’est dans cette communauté que l’art moderne aborigène s’est développé et a fait référence. Très vite, des collectionneurs Australiens durent séduits et la vente de ces oeuvres accéléra ce mouvement.

Outre ce mouvement, la peinture aborigène existe depuis près de 30 000 ans, pour les œuvres plus anciennes. Que gardent les artistes contemporains de cette histoire picturale ?

Personnellement, j’ai privilégié dans ma collection les artistes nés de 1920 à 1950. Beaucoup sont décédés. Je les appelle la génération des initiés en transi- tion. Ils prédominent dans l’exposition car la Conservatrice Maïthé Valles-Bled et son équipe de spécialistes les a privilégié. Eux ont connu la vie « non commer- ciale » et la « non influence » des occidentaux. Ce sont des initiés qui ont accepté une partie du transfert de ce patrimoine sacré.
Les enfants aujourd’hui « seniors » sont les générations inclusives. Au fur et à mesure du temps qui passe, je ensemble que se scinderont la branche traditionnelle et une branche moderne, fondatrice d’une nouvelle esthétique.

Edward Blitner (1961), Fishing Spirit Couple Dreaming, 2015.
© Collection Pierre Montagne

L’art aborigène – Collection Pierre Montagne
Au musée Paul Valéry à Sète

Cet été, l’art aborigène s’invite au musée Paul Valéry de Sète. Issues de la collection Pierre Montagne, 70 oeuvres réalisées par 63 artistes ont été sélectionnées pour proposer un regard d’ensemble sur la peinture aborigène. Des grands espaces désertiques du centre de l’Australie aux confins de la terre d’Arnhem, au nord, le parcours permet de découvrir des artistes, en majorité des femmes, qui ont atteint une grande notoriété internationale. L’exposition accorde une place importante à l’un des mouvements artistiques les plus passionnants du siècle dernier, apparu au début des années 1970, dans la communauté aborigène de Papunya. Élaborées selon une grammaire visuelle, créée elle-même à partir d’un répertoire de signes semi-secrets, ces oeuvres offrent au regard des lignes sinueuses, des traces codifiées, des empreintes et techniques pointillistes qui correspondent à une représentation du paysage où se révèlent les relations invisibles entre les mondes. À l’origine de sa collection, Pierre Montagne place l’émotion de la rencontre avec les Aborigènes, dont le dénuement et l’histoire douloureuse, puis les valeurs de respect, de solidarité et enfin de beauté qui les animent l’ont profondément touché. 

Plus d’informations : museepaulvalery-sete.fr

CatégoriesHérault | Les interviews

1 Commentaire

  1. Jacqueline Bouchelet

    C est une exposition magnifique avec toute une histoire que nous ressentons dans les œuvres
    C est un peuple que je vais apprendre à connaître
    Merci de nous avoir fait connaître ces merveilkes

    Réponse

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