Les demi-habiles, selon Pascal, souvent arrogants et suffisants, entrent dans une expo afin de confirmer leur goût plus ou moins arrêté à une époque ou à une tendance précise. Pris en défaut d’absence totale de minimum d’initiation à ce qui se joue devant eux, ils préfèrent sortir la carte fatale du « foutage de gueule » (l’élégance de l’expression consacrée donne à méditer sur ceux qui la profèrent), laquelle leur donnera l’occasion de briller devant les ignorants (qui ont la pudeur de se taire) ou de polémiquer à peu de frais devant les supposés habiles. C’est un peu comme si, entrant en sixième, un élève (ou plutôt l’un de ses parents) se plaignait de ne point saisir les théories d’Einstein. A ne s’en tenir qu’à l’exposition Crash test, qui se tient actuellement à la Panacée, certaines œuvres semblent pourtant immédiatement abordables à tel point que les appréhender semble un jeu d’enfant : je pense aux termitières colorées et dorées de la polonaise Agnieska Kurant, sortes de stalactites mi-naturelles mi artificielles qui prouvent que les frontières entre Nature et Culture ne sont pas aussi hermétiques ni étanches que l’on pourrait le croire. La réflexion sur les raisons qui poussent un groupe – animal ou humain – à agir dans un sens déterminé a par ailleurs des retombées cognitives indéniables. Les enfants ne se privent d’ailleurs pas d’entrer dans l’installation de l’anglaise Alice Channer tapissée de billes synthétiques noires, avec ces étranges rochers qui donnent l’impression d’être plongés dans quelque petit clos de désert apocalyptique, d’autant que les concrétions sont inspirées de chutes d’immeubles anglais, modélisées en 3D. Enfin, certaines des pièces présentées frappent tout de go par leur évidente beauté. C’est le cas des grands collages d’images conçu par le couple franco bosniaque Emile Mold et Estrid Lutz, que l’on peut appréhender également comme un jeu puisque le mouvement du spectateur modifie l’image à la manière d’une anamorphose.
En fait, une expo comme Crash Test pose cruellement la question de ce que nous nous attendons à voir lorsque nous pénétrons un espace voué à l’art contemporain : une confirmation rassurante de nos préjugés en matière de goût et de culture artistique ? Ou des thématiques audacieuses proposées non sans risque par des commissaires qui travaillent longuement à dégager formes et cohérence commune au magma de productions actuelles, prises sur le plan international. Ce dernier est au rendez-vous dans Crash Test. Les artistes viennent d’un peu partout avec eux particularités : ils sont jeunes et ne font fi ni de l’apport des sciences au champ toujours ouvert des activités de l’art ni bien évidemment des techniques nouvelles et matériaux récents qui déterminent leur rapport, par conséquent le nôtre, au monde contemporain.
Au demeurant, même ayant saisi peu ou prou le propos de ce Crash Test, les médiateurs font bien leur boulot, on peut s’avérer sensible à telle ou telle démarche et ne pas forcément adhérer à une autre, un peu comme on ne commande pas toute la carte lorsque l’on va au restaurant. Pour ce qui me concerne, j’ai surtout été séduit par les vidéos : celle de l’américaine Virginia Lee Montgomery donnant l’illusion qu’une main plonge dans un volume sous-marin afin de toucher une queue de cheveux, la sienne on suppose. Par le fascinant plan fixe du brésilien Thiago Rocha Pitta lequel filme, en Australie, un étrange paysage qui nous déporte au temps primitif des stromatolithes. Et par les expériences microscopiques de Caroline Corbasson qui nous font découvrir un univers en apparence lointain et pourtant si proche. Le recours à des vers de cire pout abimer les sacs poubelle ou de shopping d’Aude Pariset, très picturaux malgré les apparences, participe à la décomposition des images qui hantent nos sociétés de surconsommation. Issus d’un processus complexe et composite les objets froissés de Juliette Bonneviot interpelle par sa force de réflexion. Les expériences les plus radicales sont souvent celles qui marquent l’esprit du public : le moteur d’avion de ligne pulvérisé de l’anglais Roger Hiorns, le parterre de fleurs, assorti d’images virtuelles, de l’américain Jard Madere emporte l’adhésion par son optimisme utopique, le quasi monochrome noir d’Enzo Mianes est constitué de cendres d’ossements humains. La suissesse Pamela Rosenkranz ingère du viagra avant de se mettre à peindre, l’allemand Phillip Zachs ne voit que par le rouge de ses constituants organiques…Cette exposition réserve pas mal d’autres surprises et donne le ton d’un monde de l’art en mutation dont il propose une première esquisse. On en appréciera le sérieux puisque rien n’est plus sérieux que la science, même si l’art y ajoute sa part de créativité souvent explosive et bien évidemment sujette à polémique. BTN
Jusqu’au 6 mai à La Panacée Moco à Montpellier. Tél: 04 37 88 79 79
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