Sélectionner une page

Entretien | Pierre-Luc Poujol, artiste montpelliérain : « La peinture est une aventure »

22 Déc 2022 | Hérault, Les interviews

Pierre-Luc Poujol, est artiste installé à Saint-Gély-du-Fesc, près de Montpellier. Son œuvre, utilisant le dripping, ou la projection de peinture, fait naître sur de grands formats l’écorce ou la silhouette des arbres. Un univers coloré, oscillant entre figuration et abstraction, qui résonne comme une véritable ode à la nature. Rencontre. 

Revenons d’abord sur votre parcours, avez-vous toujours été artiste ? 

Oui j’ai toujours été artiste. Je peins depuis toujours. Après des études secondaires en agriculture, je suis rentré aux arts appliqués de Bordeaux, dont je suis sorti major de promotion, mais cette même année « une merveilleuse catastrophe » m’a contraint à mettre un terme à mes études. A 22 ans, je suis devenu papa et j’ai donc décidé de mettre ma vie d’artiste entre parenthèse pour trouver rapidement du travail. La publicité m’a offert le meilleur compromis, puisque cela m’a permis de conserver un pied dans la création. J’ai débuté à Paris comme graphiste, directeur artistique, puis directeur de création, avant de créer mon agence à Montpellier, puis un groupe ayant plusieurs antennes en France. Pendant cette période je continuais malgré tout à peindre mais de façon sporadique. Depuis bien longtemps cette page est tournée et je vis de mes créations. C’est ce que j’ai toujours voulu faire et je m’y consacre pleinement. Ma première exposition s’est déroulée lors d’un salon à Paris, qui n’existe plus aujourd’hui. C’est là que je me suis fait connaître et que les galeries m’ont repéré.

« Je suis aussi spectateur de ce qui se passe sur ma toile »

N°1, 195 x 130 cm, technique mixte

Parmi vos différentes sources d’inspirations artistiques, vous indiquez que vous vous sentez proche de l’expressionnisme abstrait et de l’abstraction lyrique américaine. Comment cela se retranscrit dans vos créations et, avez-vous d’autres axes de travail ? 

J’ai deux axes principaux, deux moteurs, qui me guident. Le premier, c’est l’inspiration que je puise dans la nature. Mon atelier est construit au milieu des bois. La nature est ce qui me nourrit. Mon second moteur, c’est d’essayer de défricher de nouveaux territoires dans la peinture. Aujourd’hui, on a l’impression que tout a été fait et qu’il est compliqué d’innover. Je m’attache donc à tester de nouvelles façons de peindre tout en liant cette recherche à la nature. Je tente de le traduire avec des techniques qui ne soient pas celles que l’on enseigne dans les écoles d’art. Par exemple, actuellement, je peins des arbres et, pour cela, je crée mes propres outils, par exemple les branches. Ma peinture est assez physique, gestuelle. L’autre point important, c’est que je suis en immersion dans mon travail. Pour cette raison, je privilégie les grands formats et je peins principalement au sol en tournant autour de mes toiles.

Autre exemple, j’expérimente en ce moment l’utilisation des cendres d’arbres en lien avec la thématique actuelle de mes peintures. De cette manière, j’essaye de défricher, d’expérimenter.  Voilà pour les deux moteurs de ma peinture.

Ensuite, effectivement, mon travail s’inscrit plutôt dans l’abstraction lyrique américaine. Mes références ce sont des peintres comme Joan Mitchell, Sam Francis, Jackson Pollock… Ce courant me parle dans la mesure où il y a une application physique et gestuelle dans ce travail. C’est presque un combat entre l’artiste et son œuvre. Il y a aussi le fait de ne pas être dans la maîtrise, quelque chose qui tient du hasard. On projette la couleur, et on ne sait pas forcément comment elle va réagir, on ignore comment une teinte et une autre vont se mixer… Il y a alors un dialogue qui se crée entre l’artiste et son travail. Quelque part, je suis aussi spectateur de ce qui se passe sur ma toile.

Claude Monet fait aussi partie des peintres qui vous inspire.

J’aime aller visiter les endroits où les peintres ont vécu, les ateliers d’artistes. Récemment, je suis allé voir celui de Jackson Pollock à Long Island, dans les Hamptons. Cet été, j’avais visité celui de Cézanne et il y a quelques années, celui de Monet, à Giverny. J’ai été ébahi par les jardins : la profusion de couleurs, les reflets du ciel dans les étangs… À mon retour de Giverny, je me suis attaché à réinterpréter la vision que j’ai eue des jardins de Claude Monet, en utilisant ma gestuelle de projection. Il y avait les nymphéas, mais également les arbres, les reflets. En 2020, cette série a fait l’objet d’une exposition au musée Paul Valéry, à Sète. Son titre, « Voyage à Giverny », faisait justement écho avec ce que j’avais vu et ressenti lors de cette visite. Au-delà de cela, Claude Monet est très important pour moi. Je ne passe pas un séjour à Paris sans aller au musée de l’Orangerie. Ou même dans d’autres villes ! Récemment, j’étais à New York et j’y ai encore découvert des toiles. Je suis aussi allé voir la dernière exposition de la Fondation Louis Vuitton qui fait le parallèle entre Joan Mitchell et Claude Monet. D’ailleurs, c’est l’une des plus belles expositions que j’ai vues ces derniers temps.

1 – Vue de l’exposition « Voyage à Giverny » par Pierre-Luc Poujol, musée Paul Valéry
2 – N°410, 150 x 200 cm, technique mixte, Collection musée Paul Valéry
 

« Imaginer une dimension aléatoire, organique à la toile, 

comme si elle se créait et avait sa propre vie »

Votre travail pictural utilise le dripping, la projection et les coulures de la peinture. Comment est née votre technique ? 

En réalité, je me suis approprié ma technique puisque, comme je l’ai dit, c’est quelque chose d’expérimental. J’ai effectué mes premiers travaux sur les écorces des arbres sans vouloir être dans la reproduction du réel. J’ai donc essayé d’imaginer une dimension aléatoire, organique à la toile, comme si elle se créait et avait sa propre vie, en faisant couler la peinture. J’ai voulu laisser cette liberté au cheminement de la peinture. La technique est donc venue de cette volonté de vouloir laisser opérer la peinture, l’eau, les mélanges. C’est presque de la chimie parfois, car le dosage de l’eau va forcément traduire des choses très différentes sur le support. Si je mélange des couleurs très liquides, elles vont se fusionner très facilement, mais pas si, à l’inverse, les couleurs sont denses. Je crée aussi mes propres couleurs grâce à des pigments ramenés de voyages. Ma technique est vraiment expérimentale. Plus récemment, comme je vous le disais, j’ai troqué mes pinceaux contre des feuilles et des branches d’arbres. Finalement, c’est une aventure et c’est ce qui m’intéresse aussi : essayer de découvrir et d’être moi-même surpris par le résultat produit.

Lorsque vous commencez un projet, avez-vous déjà en tête le résultat final ou bien préférez-vous vous laissez surprendre ?

Je pars avec une idée assez précise de ce que je veux faire. Cela étant, il y a la surprise de savoir si le rendu va me satisfaire ou non puisque je ne maîtrise pas tout. C’est ce qui m’intéresse aussi : ce lâcher prise. C’est difficile, car cela représente un risque : oser perdre son travail. Au dernier moment, les projections ou les coulures, les dripping peuvent ne pas donner ce que j’imaginais. Alors, il faut tout refaire. C’est cette prise de risque qui me passionne.

« J’ai depuis toujours cette sensibilité

avec la nature »

Vous venez de l’évoquer, la nature est votre principale source d’inspiration et le sujet même de vos œuvres.  D’où vient cette fascination et pourquoi avez-vous choisi de travailler sur ce sujet ? 

Parfois, je me le demande moi-même ! D’abord, comme je vous le disais, j’ai des racines agricoles. Lorsque j’étais enfant, je passais toutes mes vacances chez mon grand-père, qui était paysan. Il était un peu à part, c’était un paysan poète. Il jouait de la trompette dans ses vignes et avait une approche très poétique de la nature. Ensuite, j’ai fait des études en rapport avec le monde agricole. J’ai depuis toujours cette sensibilité. Il y a aussi le fait que, dans les dix premières années de ma vie, le métier de mes parents nous a amené à déménager tous les ans, et donc, à chaque fois, à changer de vie. Finalement, je n’ai que peu de souvenirs de mon enfance, si ce n’est ceux à la campagne chez mes grands-parents. J’ai donc ce côté « déraciné » qui m’a affecté inconsciemment, et qui m’influence encore dans ce que je propose aujourd’hui. Enfin, la nature me guide aussi dans mes choix artistiques.

N°534, 195 x 130 cm, technique mixte

Vous vous engagez encore plus largement pour la nature puisque depuis le printemps dernier, vous êtes ambassadeur de l’association Cœur de forêt.

Mon engagement est d’abord artistique. L’idée avec cette association, c’est de mettre mon travail, mon talent au service de cette cause. C’est redistribuer, redonner et pouvoir aider avec ce que je sais faire, c’est-à-dire, mes sculptures et mes peintures. On parle de plus en plus de forêts qui brûlent, du réchauffement climatique, de déforestation et j’ai voulu apporter ma part à cet enjeu crucial. Cœur de forêt m’a repéré, ils sont venus à l’atelier, et ils m’ont proposé d’être ambassadeur. Tout cela est encore récent, et l’on va essayer de développer des projets ensemble.

Vous êtes également sculpteur, quelle différence cela créé dans votre façon de travailler ? 

Ce sont deux manières de travailler très différentes, quoique maintenant, j’essaie de mixer les deux. Au départ, mon travail s’est porté sur l’écorce d’arbre, donc une sculpture naturelle. Je dis « sculpture » parce que c’est quelque chose de physique et, en même temps, un tableau puisqu’on a des veines qui tracent comme un dessin. Dans mes œuvres récentes, j’ai essayé de mixer les deux. C’est-à-dire que je peins mes sculptures, toujours de façon aléatoire, en projetant la peinture sur le bois et en jouant avec les coulures. La peinture reste prédominante dans mon œuvre, mais la sculpture me permet de travailler sur les matières brutes, par exemple un bois brulé ou flotté. Parfois, la sculpture ressemble à une récréation qui me permet de me détendre, mais également d’expérimenter. Par exemple, j’effectue en ce moment des essais sur le Kintsugi. Il s’agit d’une technique ancestrale japonaise qui consiste à réparer de la vaisselle cassée avec des filaments d’or, l’objet réparé est encore plus beau que l’original. Je transpose cette technique sur des poutres, des morceaux de bois.

Aurez-vous l’occasion d’exposer prochainement, ou travaillez-vous sur des projets d’expositions ? 

Je viens de terminer une exposition à Paris. Il y a aussi des projets en construction aux États-Unis, mais, il est trop tôt pour en parler. Sinon, je prépare une exposition muséale qui aura lieu en 2024 sur le thème des arbres.

Propos recueillis par Eva Gosselin

Plus d’informations sur l’artiste : pierrelucpoujol.com

N°567, 200 x 200 cm, technique mixte

CatégoriesHérault | Les interviews

0 commentaires

Soumettre un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

A lire aussi