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Entretien avec Michael Schønwandt

24 Juil 2018 | Classique & lyrique, Musiques

FESTIVAL RADIO FRANCE OCCITANIE MONTPELLIER 2018
Montpellier – Opéra Berlioz
Samedi 21 juillet à 20h00

Kassya, l’opéra oublié de Léo Delibes
(Version concert en replay sur France Musique)

Entretien avec Michael Schønwandt.
Michael Schønwandt est le chef principal de l’Orchestre national Occitanie Montpellier (OONM).
Chef réputé, Il a été invité à diriger au Lincoln Center New York, à l’Opéra National de Paris, au Staatsoper Wien, au Staatstheater Stuttgart, Royal Opera London, Royal Opera Copenhague, Concertgebouw Amsterdam.
Michael Schønwandt promeut la musique classique danoise et les compositeurs de l’Europe du nord dont il est l’un des plus grands spécialistes. Fasciné par le répertoire romantique français qu’il entend faire jouer de plus en plus, ce Chef charismatique, emporte par sa lecture distanciée du répertoire, l’adhésion des musiciens et du public et s’est fortement engagé dans le chantier de rénovation artistique de l’OONM.
Il revient au Festival radio France Occitanie Montpellier 2018 pour diriger Kassya et toujours à Montpellier, il donnera Tristan und Iseult en janvier, Simon Boccanegra en juin 2019.
Tous les passionnés de raretés iront fin mai prochain, à Copenhague, pour le rare Drot og Marsk du compositeur danois très wagnérien, Peter Heise (espérant une mise en scène à hauteur de ce chef-d’œuvre).
https://youtu.be/mMrarT4XGtM

A propos de la re-création à Montpellier de la version posthume présentée à l’Opéra-Comique le 13 mars 1893
Léo Delibes décède à l’âge de 55 ans le 16 janvier 1891. Il vient juste d’achever la partition piano-chant de son opéra Kassya, mais sans en terminer l’orchestration (seuls ont été traités l’acte 1 et une petite partie de l’acte2). Une longue maturation pourtant commencée dès janvier 1886 lors  d’un voyage officiel en Hongrie qui lui a donné l’idée de traiter un sujet aux accents slaves et tsiganes.

Cet opéra étant inachevé, les amis de Delibes se tournent alors vers Ernest Guiraud, connu pour ses talents d’orchestration (ami de Bizet, il a réécrit les récitatifs de Carmen et complété, entre autre, l’orchestration des Contes d’Hoffmann).
Mais ce projet n’aboutira, Guiraud  s’étant récusé.

Finalement, c’est Jules Massenet qui  se charger de la tâche, mais pour cela Il faut attendre le retour inespéré du directeur de l’Opéra-Comique  Carvalho pour qu’enfin Kassya soit présenté à la scène.
Fort occupé à terminer Manon, il ne se mettra  sur l’ouvrage qu’à partir de fin 1891, terminant l’orchestration et écrivant tous les récitatifs. Kassya peut enfin être présenté pour la saison 1892-1893.

10 ans après la création de Lakmé (14 avril 1883), succès ô combien planétaire, Kassya était retiré de l’affiche et rayé du répertoire opératique au bout de huit représentations. C’était il y a 125 ans.

Entretien avec Michael Schønwandt. A propos de Kassya  l’opéra oublié de Léo Delibes  

  1. Peut-on considérer que Kassya est en quelque sorte le pendant de Lakmé écrit dix ans plus tôt, par rapport à sa musique, ses danses ou ses motifs pittoresques typiquement slaves ou tsiganes ?
    Delibes avait une affection naturelle pour les thèmes exotiques, Kassya est dans cette même veine. L’inspiration lui est venue à l’occasion  d’un voyage officiel effectué en Hongrie en 1885 où il a entendu la musique d’Europe de l’Est et en particulier, la musique tsigane. Cette curiosité pour ce nouveau sujet exotique a absorbé beaucoup de son temps. Quelques décennies plus tard, Puccini s’en servira aussi (Madama Butterfly, Turandot, etc.)

Cyrille ”m’aimes-tu?…” – Kassya ”mais oui, c’est convenu!”  

  1. La musique de Kassya dépasserait-elle celle de Lakmé?
    Ce fut pour moi une expérience formidable de découvrir tous les grandes qualités intrinsèques de Kassya.  Un ouvrage qui mérite vraiment d’être entendu pour sa veine mélodique, vocale et instrumentale. Les  mêmes lignées et les mêmes qualités que Lakmé.

« Entends aujourd’hui ce serment: du maître qui m’opprime et par qui je suis outragé,  Quand il faudrait descendre au crime, je jure ici d’être vengé ! »  

  1. Kassya est à lui tout seul un catalogue encyclopédique musical de danses slaves (csardas, dumka, kolomyika, polonaise tsigane). Qu’en pensez-vous?
    Delibes s’est inspiré de la musique folklorique de l’Europe de l’Est en associant le rôle-titre de Kassya à la musique Tsigane qui en reprend la tonalité.Toute représentation d’opéra à Paris se devait d’intégrer de la musique de ballet.Verdi a aussi écrit de la musique de ballet pour ses opéras présentés à Paris.Ce qui était tout simplement attendu par le public.

 ”…On pille, on écrase, on rançonne”

  1. On raconte que Moniuszko aurait été aussi une source d’inspiration musicale pour Delibes [i]. Au gré des inspirations de Delibes, retrouve-t-on dans Kassya d’autres passages qui auraient été puisés chez d’autres compositeurs slaves ?
    Je n’ai pas entendu clairement dans la musique de Kassya des inspirations provenant de Dvorak ou Tchaïkovski. Mais il est clair qu’ils ont aussi écrits de la musique folklorique (Eugen Onegin, Polonaise – Dvorak, danse Slave).

”…Cette femme, cette étrangère, de ton cœur tu la chasseras!”  

  1. Pensez-vous que Massenet est allé plus loin que de régler l’orchestration, en modifiant quelques passages ?
    Massenet a introduit les récitatifs pour remplacer les dialogues initialement prévus. Un travail  semblable à celui entrepris par Ernest Guiraud qui a réécrit pour Bizet tous les récitatifs de Carmen.En outre, il a certainement réglé la fin de l’opéra. Mais comme nous ne pouvons étudier le manuscrit original, on ne peut que le deviner…

« …Que le sang versé retombe sur les méchants !  Marchez! Fauchez ! »

  1. Comment se fait-il que finalement seul le ballet (oberta, danse ruthène, sumka et trepak) ait été conservé jusqu’à nos jours et pas le reste?
    La musique de ballet n’a jamais été intégralement enregistrée sauf Trepak. Ces 10mm de  musique de ballet ont été jouées à Paris dès 1930 et probablement aussi dans d’autres villes. Une bonne musique de ballet, on doit toujours la jouer.

«… L’Amour, c’est le Pardon et tu vas pardonner…»  

  1. A sa création la critique clamait que Kassya « sentait la naphtaline », va-t-on redécouvrir un chef-d’œuvre qui retrouvera sa place au répertoire opératique, malgré un livret au texte suranné ?
    Il y a des périodes dans l’histoire de la musique ou le temps passent très vite et les goûts musicaux changent en conséquence. Cela fut le cas dès 1760 (Mozart et Haydn). et à partir de la fin du 19ème siècle, toute la culture musicale européenne en fut ébranlée.
    Je pense que Kassya a été la victime collatérale de cette nouvelle orientation, de cette lutte entre les pro-Wagner et les anti-Wagner. Cet opéra mérite d’être vu dans une belle mise en scène, comme on l’a si bien fait pour Lakmé.

«…Céder serait une infamie! La mort plutôt ! »  

  1. Lors de sa création, l’échec de Kassya proviendrait-il d’une erreur de jugement du metteur en scène Carvalho? (décors et costumes sortis des réserves de l’Opéra-Comique sans visiblement en rapport avec l’histoire du livret).

Kassya n’a pas bénéficié de circonstances optimales lors de sa création en 1893 cela ne fait aucun doute, Massenet n’a pas pu imposer Gibert qu’il pressentait pour chanter Werther joué juste avant à l’Opéra-Comique, obtint en compensation qu’il chantât Cyrille. Malheureusement, ce ténor n’avait pas la voix idéale pour chanter le rôle. Et le soir de la première, la soprano qui devait chanter Kassya était aphone. Cet opéra a connu bien trop de coups du sort.  

«… La mort, je le veux bien »

  1. Cet opéra est donné en version concert, comment, les chanteurs vont-ils pouvoir suggérer l’histoire racontée ?
    Nous avons beaucoup travaillé pour que cette soirée ne soit pas qu’un concert mais la représentation d’un théâtre imaginaire. En d’autres termes, ce sont les chanteurs qui vont créer ce théâtre que l’on pourra parfaitement imaginer dans la salle ou en l’écoutant à la radio.

«… Tu n’as pas voulu croire… et je t’aimais pourtant !
A mon amour croiras-tu maintenant ! » (Kassya se donne la mort)
 

  1. Et si Kassya avait été wagnérisé [ii], le cours de son histoire en aurait-il été changé ?
    Tout cela n’est que spéculation. Je vais mettre toute mon énergie et mes convictions pour défendre la musique de Delibes. Elle en vaut vraiment la peine.
    (Kassya agonise)
    « …Tu te souviens de cette bohémienne qui lut notre avenir dans ta main, dans la mienne. Elle m’avait promis à moi les grandeurs…et je meurs comtesse ! Elle avait promis à toi le bonheur…le destina tenu sa promesse ! »

 Traduction et propos recueillis par Michel Pavloff, juillet 2018 

 Notes :
[i] Assistant à une représentation du ballet Coppélia, l’éditeur de Stanisław Moniuszko (le compositeur polonais connu pour Halka)  découvrit que « Poleć, pieśni, z’miasta » avait été  utilisé par Delibes pour en faire le thème slave varié » de la scène 7 à l’acte 1 du ballet de Delibes.
https://youtu.be/Jim1-MWOVwM 
Sur You Tube l’opéra Halka de Stanisław Moniuszko  est en ligne.
https://youtu.be/0byL80FznHY  
[ii] Il semble  évident que la scène finale de Kassya marque quelques points communs avec Tristan und Iseult.
On entend aussi  furtivement de temps en temps quelques modulations  très wagnériennes.

CatégoriesClassique & lyrique | Musiques

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