Surprenante exposition que celle à laquelle nous convie Claude Buraglio qui mêle peinture sur pieds, torchons ou crânes de papier récupéré, volumes et linogravures. Déjà la vitrine attire le regard avec son filet d’oranges, lui-même de couleur orangée. Certes, on peut se dire que l’artiste rend ainsi hommage à des objets du quotidien, de ceux que l’on ne regarde point mais dont la beauté frappe si justement, à l’instar de l’artiste, on l’isole, on le recrée, on le manipule et le fait accéder au statut d’œuvre d‘art, ou si l’on veut au royaume des yeux. Ainsi en est-il du plus humble dans les écrits sacrés. Un œil averti pourra peut-être établir un clin d’œil subtil à Supports-Surfaces, le filet tenant lieu d’avatar du châssis et les oranges, dans ou à l’extérieur du filet, incarnant la toile mise en boule. Sauf qu’ici la toile a laissé place à du papier de boucher ou de primeur, ou ailleurs à du carton d’emballage, matériau lui aussi assez pauvre et donc en cohérence avec le propos. On entre, et plusieurs peintures de pieds nous sautent si l’on peut dire aux yeux, laissés à l’abandon du repos ou triturés. Les pieds, grâce auxquels nous redressons nos corps de civilisés, sont la partie quelque peu méprisée, quelque peu refoulée de notre corps, la part maudite, sauvage. On les cache souvent. Claude Buraglio les peint à portée de regard, les redresse à l’horizontale, dans la volonté de les réhabiliter. Ils sont tantôt baignés de lumière solaire, tantôt plus proches des tonalités sourdes de l’ombre, quelquefois les deux. Ce contraste entre l’ombre et la lumière se retrouve dans ses sculptures, proches de la vanité, toujours à partir de papier récupéré. Ces citrons sculptés et resplendissants jouxtant ce crâne nous replongeant dans le réel. On ne saurait mieux parler à la fois de la vie et de la mort, partant de l’ambivalence de l’existence, faite d’ombre et de lumière. Près de là, deux linogravures rendant hommage à Géricault à travers des êtres hallucinés, déments, farouches – encore des laissés pour compte. Une image empruntée à un livre érotique, agrandie, exhibe sa trame. On est toujours dans la récupération, l’hommage, la réhabilitation. Enfin, deux œuvres murales montrent l’étendue des aptitudes de Claude Buraglio à faire flèche de tous bois tout en restant fidèle à un matériau et à l’idée d’humilité qu’il véhicule : deux torchons (dont l’œil jouxte un deuxième crâne), un sac posé sur un tabouret. Deux objets féminins qui nous rappellent opportunément que l’artiste, Claude, est une femme. Sensible aux choses, pour parler comme Ponge, censées incarner l’univers domestique, plus qu’à d’autres. Sensible à un travail de l’ombre, humble et pas toujours reconnu : celui de la ménagère. On a également des pieds en volume, une oreille, une tête de femme africaine, un masque à gaz traité tel un masque africain… C’est assez dire si Claude Buraglio a parfaitement occupé un espace pourtant modeste, lui aussi, à l’instar des objets qu’elle restitue, du matériau qui la travaille et qu’elle transfigure. BTN
Jusqu’au 20 déc à la Galerie Samira Cambie, 16 rue St Firmin à Montpellier.
Tél : 04 99 65 46 74