L’Arpac existait déjà quand rien n’existait encore du côté de Montpellier. Comme tous les lieux voués à l’art d’aujourd’hui, la Fondation du Dr Morat aspire à une réouverture, en attendant de fêter ses 40 ans d’existence.
Ce devrait être chose faite en mai avec la venue d’une plasticienne à même de s’intégrer à cet écrin végétal que demeure la Fondation, Charlotte-Agnès Ducauquier. Cette artiste travaille en effet en s’inspirant directement de la nature, qu’elle en glane les éléments (lichens, monnaie du pape, bambou, branches d’ombellifères, sarments de vignes…) ou qu’elle s’inspire de ses formes multiples (chrysalide, nids, , racines, rhizomes ou arborescences et même vagues de l’océan sans oublier les spirale de la voie lactée…). Les œuvres peuvent se présenter en suspension, au sol ou accrochées au mur, laissées à la pesanteur du fil métallique ou encadrées, à l’instar d’une précieuse relique. Empreintes de légèreté, obsédées par la valeur incontournable du vide, elles témoignent d’une volonté de créer des correspondances entre ce que nous pouvons observer en baissant les yeux, sur terre, et ce que nous découvrons en tournant nos regards vers le ciel. Il n’est donc point étonnant que cette expo printanière s’intitule Cosmogonies. Mais une cosmogonie à échelle humaine, portative et humble. L’espace naturel et préservé de la Fondation devrait permettre d’alterner les installations extérieures et intérieures, les sculptures murales et les petites expériences sous cadres. En fait, l’artiste explore toutes les nuances de la germination, de la floraison ou de la foliation et les reproduit, de manière plus résistante et pérenne, en recourant le plus souvent au fil de cuivre, ou à des patines diverses. Elle s’inspire également de la trame arachnéenne des lichens ou à la structure des ailes d’oiseaux. Tout ce qui est léger voire aérien donc et c’est de cette légèreté dont nous avons bien besoin par les temps qui courent.
Puis, pour le passage du printemps à l’été, c’est le peintre montpelliérain Christophe Arbieu qui ouvrira… les persiennes…
Certes, la découverte des vertus plastiques des persiennes ou stores vénitiens par Christophe Arbieu semble anecdotique : une chambre d’hôtel en Avignon, la cité des Papes, la rivale de Rome, et le voyage prend une autre tournure. Il se fait pictural et s’ouvre dès lors bon nombre de perspectives. La persienne en effet a la particularité de séparer deux espaces, un extérieur et un intérieur. Or c’est la caractéristique première du tableau que d’établir un distinguo entre le réel qui l’entoure et le monde qu’il s’ouvre, voué à d’autres codes sur la surface plane : celui des couleurs, des lignes et des valeurs.
Commençons par celles-ci : la persienne sépare la lumière qui vient précisément de l’extérieur, de la zone d’ombre qu’elle protège. Ainsi, le choix de la persienne se justifie par le fait qu’elle s’impose en équivalent du tableau, capable de séparer, sur le plan du peint, lui aussi l’ombre et la lumière. Ce qui se joue alors en cette série de toiles que Christophe Arbieu lui consacre, c’est bien un problème de Peinture. Il s’agit moins de mettre en scène des persiennes comme telles que des idées de persiennes voire l’idée que contient la persienne, un fantôme de motif qui n’a plus grand-chose de figuratif mais joue comme lieu de passage, de transition et même de transformation de la figure en abstraction. La persienne permet ainsi des variations, musicales, sur un thème donné.
Si l’on reconnaît en effet, muni du titre ou bien informé, le motif de la persienne, on se rend vite compte que celle-ci subit force distorsions selon la façon dont on la dispose et selon la manière dont module la lumière. Les percées d’air deviennent, sur la toile, des gestes colorés rectilignes alternant avec la matière demeurée dans l’ombre et dès lors peinte en noir. Déséquilibré d’un côté, rythmé des signes de lumière et d’ombre de l’autre, on a l’impression que le motif de la persienne s’émancipe au cœur du tableau. En poussant un peu, l’on pourrait dire que c’est lui qui prend des vacances, se paie la fantaisie d’un voyage. Et comme les toiles sont assez imposantes, dimensionnées à portée de corps de l’artiste, c’est un peu ce tableau, et ses persiennes, qui permet à ce dernier, tout en restant sur place, de voyager. Ou si l’on préfère, pour pasticher Mallarmé, de vérifier que tous les voyages du monde ne sont faits que pour se voir inclus dans un bon tableau. De Maistre écrivit jadis un Voyage autour de ma chambre : Christophe Arbieu lui substitue le voyage en atelier. Il se sert des photos prises sur place et qui sont comme une banque de souvenirs à partir de laquelle peut s’opérer la transmutation de la réalité en œuvre d’art. Et comme le visiteur vit à son tour la même expérience, lui aussi est convié au voyage. C’est d’ailleurs tout à fait normal si l’on y réfléchit : Persienne a pour origine le mot Perse, la Venise des stores c’est déjà l’orient et le soleil se lève à l’Est…
Pas étonnant également que, sur la surface du peint, notre persienne jadis en la rivale de Rome, à présent remodelée dans un atelier français, le regard vers nos origines, se trouve quelque peu désorientée…
BTN
Charlotte-Agnès Ducauquier, jusqu’au 30 mai. Christophe Arbieu, Jusqu’au 27 juin 2021.
511, avenue Pompignane, 0467794111
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