A Deux heures et demie à peine de notre région. Légère, ce qui n’exclut pas l’abondance. Voilà ce que m’inspire cette 14ème biennale, à l’instar de la machine à bulles qui nous attend à l’entrée de la Sucrière, du philippin David Medalla. Aérienne aussi à l’instar de ce monumental tapis de soie blanche, flottant dans l’espace de Hans Haacke, ou des coques de béton en forme d’oiseaux suspendues par le mexicain Hector Zamora. Et quoi de plus aérien que le son, omniprésent, qu’il s‘agisse des clapotements de gouttes d’eau sur l’excavation aquatique de l’américain Doug Aithen ou des hélices sonores de l’autrichienne Susanna Fritscher dans les silos, tout comme la toile d’araignée vibrante d’obscurité de l’argentin Tomas Saraceno. Au Mac, nous sommes accueillis par la tour de Babel formée de radios de toutes sortes érigée par le brésilien Cildo Meireles, par la Mélancolie craquante comme un disque rayé de notre compatriote Dominique Blais, par les sculptures aviaires et florales de David Tudor, ou par le journal effeuillé par le vent de Laurie Anderson, pour ne citer les œuvres les plus remarquables. Une mention spéciale pour le sétois Céleste Boursier-Mougenot et son rond bassin de bols harmonieux dans le dôme, érigé par feu Richard Buchminster-Fuller, près de la place Bellecour. Comme on le voit, tous les pays du monde sont sollicités, en particulier les émergents avec une certaine réussite : dans l’œuvre collective conçue par le brésilien Rivane Neuenschwander, dont nous sommes partie prenante, sur un mur de slogans ; au labyrinthe de polyamide élaboré par le brésilien Ernesto Neto, grâce à qui nous croisons d’authentiques mobiles de Calder ou sculptures de Jean Arp. Les chinois Hao Jingfang et Wang Ling Jie suscitent des irisations au sol à partir de micro billes de verre, le grec Christodoulos Panayiotou réalise de superbes toiles monochromes en s’inspirant de la couleur des billets de banque. Le portugais Marco Godinho recouvre les murs, internes et externes, de la Sucrière de milliers d’estampilles immigrantes. La voiture électrique de la thaïlandaise Pratchaya Phinthong projette la nuit toute une série de films d’artistes tandis que le cinéaste Apichatpong Weerasethakul fait apparaître les fantômes de la nuit hindoue. Le français Philippe Quesne nous invite à visiter sa grotte qui respire, un immense et sombre sac poubelle. L’espagnol Daniel Steegmann-Mangrané reconstitue une serre où vivent des insectes caméléons, après tout ne s’agit-il pas du statut de l’artiste ? On trouve dans cette biennale des valeurs sûres et des références solides : l’inévitable Marcel Duchamp, sa boîte et son grand verre (avec en vis-à-vis une installation transparente de Yuko Mohri), Lucio Fontana et ses « concetto spaziale », Marcel Broodthaers qui n’en finit plus d’essayer d’écrire à l’encre sous le déluge, Robert Barry et son « Love to », tracé à la craie blanche sur une cloison peinte en bleu, Nam June Paik et ses télévisions trafiquées à l’entrée du Mac, Gordon Matta Clark, mort prématurément, et ses célèbres coupes d’immeubles, le lyonnais Melik Ohanian et sa superbe pièce tétralogique : Borderland, un morceau de bravoure et l’un des clous de cette biennale. La légèreté n’exclut évidemment pas la gravité, présente par exemple dans les 24 séquences d’explosions atomiques de Bruce Conner, l’Algérie vue par la nantaise Carole Douillard, les corps en suspension sous plastique de Dario Villalba, les manifestations argentines de Marcelo Brodsky à la Sucrière ; la joueuse de flûte contrariée par les éléments de Fernando Ortega au Mac, l’exhumation des morts et l’offrande florale de Jill Magid (USA). La musique est omniprésente, dès l’ascenseur du Mac, avec la composition d’Ari Ben Jamin Meyers (USA/All), mais aussi avec des partitions qui sont de véritables œuvres d’art, de Philippe Corner, de Mieko Shiomi (Japon) ou l’autographe du grand Terry Riley, la boite secrète de Georges Brecht. L’allemande Jorinde Voigt conçoit ses grandes calligraphies comme des compositions exécutables. John Cage est sollicité par Molly Davis à la Sucrière. Les artistes ne sont pas tous nos contemporains. Certains sont décédés depuis belle lurette (Hans Richter, Bruce Conner, Peter Moore, Lygia Pape et ses favela démolies…) ou d’un âge avancé (Heinz Mach, et sa structure dynamique), ce qui montre que cette exposition est plus thématique que synchronique. On est ravis d’y retrouver notre régional de l’étape, le nîmois Hamid Maghraoui, et sa vidéo présentant le port de Sète vu d’un cargo mais d’un jour inédit. Parmi les œuvres qu’il est impossible de ne pas citer le mot « vivre » répété en manuscrit au sol et effacé par nos pas, de l’allemand Jochen Gerz, les mots œdipiens traversant l’espace du tchèque Jan Mancuska, les vaches qui volent en cerf-volant du japonais Shimabuku, l’éclair dans le noir désigné par Julien Creuzet, les mobiles en miroir du gallois Cerith Wyn Evans, les cycles lunaires emballés et expédiés par Dominique Blais, les expérimentations cosmiques et spatiales de Lars Fredrikson, au Mac. A la Sucrière les visiteurs aiment expérimenter la capsule de Mathieu Briand. Il s’étonne du mâchefer récupéré par Lara Almarcegui (Esp/PB) après destruction de la halle Girard toute proche. Du circuit hydraulique de Hans Haacke, des enregistrements de pluie sur des conserves au rythme de samba de Shimahuku, du labyrinthe de parpaings des architectes Berger et Berger pendant qu’on déclame du Robbe-Grillet, et du lieu sombre et secret en lequel nous invite le zambien Anawana Haloba, pour une expérimentation musicale encore. Les générations se mélangent, les cultures se mêlent, les disciplines et techniques se confondent. Au vent, à l’eau, au son, il faudrait ajouter le mouvement, celui par ex des lampes de Yuko Mohri déclenchant des irradiations de lasers. On est entré dans l’ère de la robotique. La biennale se poursuit Fondation Bellukian, dans toute la métropole lyonnaise (cf. les tableaux de Daniel Tillier galerie JL Mandon) et surtout à l’IAC de Villeurbanne pour une cure de jeunesse et de pays émergents. Car il n’est rien de plus léger et donc de plus sérieux que la jeunesse. BTN 23 10 17.
Jusqu’au 7 janvier 2018 à La Sucrière 47 quai Rambaud Lyon 2 Le Mac 81, quai Charles de Gaule à Lyon . Tél : 04 27 46 65 65. www.biennaledelyon.com/
Clémence Boursier-Mougenot
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