Dans la mesure de l’impossible
L’impossible est une région du monde où l’humain s’aventure peu. C’est la plupart du temps un désert d’humanité et d’empathie, un endroit de supplices où les bourreaux sont à l’œuvre et ne laissent pas de témoins derrière eux, une zone de guerre où brandir un drapeau d’une organisation humanitaire ne vous met pas toujours à l’abri d’une balle perdue. Le Portugais Tiago Rodrigues met en scène quatre travailleurs humanitaires, deux femmes et deux hommes, dans le spectacle présenté à l’Opéra d’Avignon Dans la mesure de l’impossible après l’annulation de celui que devait y donner Krystian Lupa avant ses déboires à la Comédie de Genève. Un remplacement dans l’urgence là aussi, il ne s’agit pas de sauver le monde, des gens, mais une programmation de festival où il faut parfois réaliser des prouesses budgétaires pour surmonter de tels imprévus. Le metteur en scène a collecté de nombreux témoignages de travailleurs humanitaires, une trentaine de collaborateurs de la Croix Rouge et de Médecins sans frontières, qu’il restitue dans ce spectacle sous forme d’entretiens. Chacun des protagonistes prend à son tour la parole pour raconter une histoire, une anecdote, livrer sa réflexion sur son action, le sens de son engagement, les moments de découragement ou d’enthousiasme, la fatigue et les traumatismes, et puis l’adrénaline qui peut mener jusqu’à l‘addiction au danger. Ils disent aussi l’horreur des charniers, leur odeur, la détresse et tous les efforts mis en œuvre pour faire en sorte que l’impossible devienne possible.
Comment transformer ces témoignages en matière théâtrale ? De grandes toiles, hissées à la manière des machinos par les comédiens eux-mêmes au fil du récit, figurent aussi bien des montagnes que les campements où vivent les réfugiés ou bien encore les tentes sous lesquelles opèrent et soignent les humanitaires. Surtout pas des héros, se défendent-ils, mais il n’en demeure pas moins qu’ils en ont souvent l’étoffe car au pays de l’impossible le danger est permanent et ce qu’ils parviennent à accomplir, malgré la peur et les obstacles, impose le respect et l’admiration. Un percussionniste ponctue les interventions, façonne des paysages sonores qui semblent faite écho aux bruits de la guerre, tout en ruptures, puissants et batailleurs, habillage dramatique qui rappelle qu’on est au théâtre.
Les comédiens se déplacent en groupe sur la scène de l’Opéra, chaque geste, chaque pas sont mesurés lorsqu’ils décrivent une intervention, comme s’ils marchaient sur un champ de mines. Ils nous embarquent dans leur geste épique qui est aussi un geste théâtral fort. « Je ne cherche pas à faire un théâtre qui emmène ailleurs » dit Tiago Rodrigues dont le théâtre en prise et aux prises avec le réel nous plonge ici au cœur des ténèbres, guidés par la flamme vacillante d’humanité qu’une poignée d’individus essaient par tous les moyens de ne pas laisser s’éteindre.
Jusqu’au 22 juillet à 16h à l’Opéra Grand Avignon
Luis Armengol
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