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Avignon In : classe tous risques

10 Juil 2023 | Festivals, Spectacles vivants, Théâtre, Vaucluse

Ce qui fait la signature inimitable du festival d’Avignon dans le monde entier c’est qu’il est avant tout un festival d’aventures artistiques. Avec ses nombreux succès et parfois aussi ses échecs. La mémoire festivalière retient davantage les premiers, c’est justice car il n’est pas rare que les seconds se bonifient au gré des représentations et des tournées.

A Noiva e o Boa Noite Cinderella

Avignon est aussi le lieu du pari et du risque. Le nouveau directeur Tiago Rodrigues leur fait la part belle dans cette édition 2023 en pariant sur la création féminine, majoritaire dans cette programmation, et en mettant à l’affiche des spectacles parfois dérangeants, même s’ils sont dans l’air du temps. Celui de la Brésilienne Carolina Bianchi A Noiva e o Boa Noite Cinderella (La Mariée et Bonne nuit Cendrillon) coche les deux cases. Avec son collectif Cara de Cavalo, Carolina Bianchi est partie sur les traces de l’artiste performeuse italienne Pippa Bacca qui avait entrepris un périple en auto-stop de l’Italie jusqu’en Israël, en compagnie d’une autre artiste, toutes deux vêtues de robes de mariée. Leur intention était d’opérer « un mariage entre les peuples rencontrés ». L’aventure a tourné à la tragédie quand Pippa Bacca a été violée et tuée en Turquie, près d’Istanbul.

La problématique des violences sexuelles et des violences faites aux femmes est au cœur de l’exploration artistique de Carolina Bianchi. Elle en poursuit l’investigation en mettant en scène l’histoire de Pippa Bacca qui s’ouvre d’abord sous forme de théâtre-conférence permettant, au terme d’un long préambule, d’exposer les ambitions du projet de la performeuse assassinée, ses limites et ses risques ainsi que les détails de son périple. Où s’arrête la narration d’un fait-divers macabre, où commence le théâtre ? le spectateur navigue entre les deux, embarqué à bord de la dernière voiture où a pris place Pippa Bacca, au volant de laquelle se trouve celui qui sera son violeur et son assassin.

Durant son exposé, c’est là que commence sa performance, Carolina Bianchi prend une pilule du sommeil appelée au Brésil « Boia Noite Cinderella », connue comme la pilule du violeur dans les bars et boîtes de nuits brésiliennes. Ce qui va provoquer son endormissement, annoncé au préalable au public. Après l’avoir installée sur un matelas, les autres membres du collectif Cara de Cavalo interprètent l’histoire de Pippa Bacca, mêlant théâtre, danse et musique, utilisant l’ensemble du plateau du gymnase Aubanel transformé en scène de crime, en une succession de tableaux noirs et violents. L’utérus de Carolina Bianchi n’échappe pas à la performance puisque on y introduit une caméra, durant son sommeil, pour en projeter des images sur scène. Spectacle dérangeant,  A Noiva e o Boa Noite Cinderela charrie plus de questions qu’il n’apporte de réponses – l’art ne résout rien – sur la mort tragique de Pippa Bacca d’abord mais aussi sur ce qui fait théâtre et sur le sens du geste performatif, entre fascination voyeuriste et authentique création artistique.

Jusqu’au 10 juillet à 21h30, Gymnase du Lycée Aubanel.

An Oak Tree

Tim Crouch aime arpenter des territoires théâtraux qui s’éloignent du commun. Le Britannique développe depuis plusieurs années un théâtre conceptuel dont il est à la fois l’auteur et l’interprète, comme ici avec An Oak Tree qu’il joue dans le beau jardin du Cloître des Célestins. Il n’est pas seul sur scène, à chaque représentation, un comédien ou une comédienne lui donnent la réplique…sans rien connaître du texte ni de l’histoire qui est racontée, aidés seulement par les indications de l’auteur qui leur souffle le texte, ou bien par un script qu’ils lisent et découvrent en même temps, ou encore par une oreillette à travers laquelle le texte leur parvient. Là aussi, la prise de risque est conséquente, elle s’avère passionnante et convaincante.

Cela donne en effet une étrangeté poignante à cette pièce qui confronte un homme qui a perdu sa fille dans un accident au conducteur fautif, qui tente d’en revivre toutes les étapes jusqu’au dénouement tragique. L’histoire d’un père qui essaie de faire son deuil, rôle joué par l’artiste invité dont le jeu se métamorphose au fil de la pièce et des échanges sur scène avec Tim Crouch. Un pur moment de théâtre, bouleversant et fascinant autant que l’était Natacha Koutchoumov, partenaire de l’auteur-acteur lors de la première de la pièce.

Jusqu’au 11 juillet à 22h, Cloître des Célestins.

Welfare 

Julie Deliquet a inauguré le festival dans la Cour d’honneur du palais des papes avec Welfare, une pièce adaptée du film éponyme de Frederick Wiseman (1973) sur les laissés pour compte de la société américaine. On y suit sur une journée les démarches de sans-abri, d’apatrides, de travailleurs pauvres, de mères célibataires et autres démunis qui se succèdent aux guichets d’un centre d’aide sociale. Cette Amérique des inégalités d’il y a 50 ans ( et d’aujourd’hui encore) fait écho aux situations qu’on retrouve dans d’autres pays d’Europe, se projetant soudain dans nos villes et nos quartiers comme c’est le cas à Avignon, l’une des villes les plus pauvres de France. Capter la vie au cœur de la comédie humaine, c’est la démarche artistique de l’actuelle directrice du Centre dramatique national de Saint-Denis dont la proposition a été saluée par le public de la Cour d’honneur, lieu dévolu pour quelques soirs à ce que le sociologue Bourdieu appelait « la misère du monde ».

Jusqu’au 14 juillet. Cour d’honneur du Palais des Papes.

Luis Armengol

CatégoriesFestivals | Spectacles vivants | Théâtre | Vaucluse

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