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Avignon : Sélection Off 2024. Chronique 2

8 Juil 2024 | Festivals, Spectacles vivants, Théâtre, Vaucluse

J’aurais voulu être Jeff Bezos

C’est la fête à Jeff, le patron d’Amazon, digne rejeton du libertarisme américain qui a accumulé des montagnes de dollars investis dans la robotique, l’intelligence artificielle, la presse, l’immobilier, le médical, les satellites, la conquête spatiale, etc. D’ailleurs, l’une de ses dernières idées en date est de délocaliser l’industrie lourde dans l’espace, mais oui, et d’y créer des colonies humaines pour y travailler, on applaudit bien fort. Du coup le collectif P4, qui se définit lui-même comme « un collectif tout terrain racontant des histoires avec un filtre de poésie, d’humour, de rage et de folie », a décidé de lui consacrer une petite réception, genre feu d’artifice qui pète bien dans les jambes et dans tous les coins. Les réjouissances commencent par un dialogue satirique en alexandrins, mise en bouche suivie du plat de résistance tout aussi festif sous forme d’un réquisitoire à toutes les sauces théâtrales mêlant aussi bien la comédie, le cabaret, le documentaire, l’interview, la conférence, la séance de développement personnel…Autant de mèches allumées par un collectif qui dynamite allègrement l’édifice Bezos, cette froide entreprise de déshumanisation du monde. Aucune charge n’est gratuite, les faits sont documentés, ce qui renforce le pouvoir de dénonciation du spectacle joué à cent à l’heure par des acteurs survoltés passant à la moulinette la vision amazonienne du monde. Pas de doute, cette diatribe jubilatoire et roborative contre le système Amazon est en train de faire un carton !

Au 11 boulevard Raspail, à12h20 jusqu’au 21 juillet.

Luis Armengol

 

Du charbon dans les veines

Années cinquante dans une ville minière du Nord, le décor est celui d’une maison d’ouvrier qui abrite la famille de Sosthène, ancien mineur aujourd’hui à la retraite, poumons bouffés par la silicose mais cœur toujours vaillant, à l’écoute des autres. La pension du chef de famille lui a permis d’acquérir à crédit un poste de téléviseur sur lequel on peut suivre les discours de De Gaulle en pleine guerre d’Algérie, mais surtout l’épopée de l’équipe de France de football dans la Coupe du monde de 1958 organisée en Suède. Une équipe qui compte dans ses rangs des fils de mineurs immigrés polonais parmi lesquels le mythique Raymond Kopa qui fait la fierté des corons. Sosthène, que son prénom et ses paroles empreintes de bon sens et d’équité font ressembler à un philosophe grec,  dirige par ailleurs l’orchestre local composé uniquement d’accordéons où font merveille son fils Pierre et le meilleur ami de celui-ci, Vlad. Jusqu’à ce que l’arrivée d’une jeune musicienne marocaine, Leila, conduise les deux amis à une joute amoureuse qui va les amener au bord du drame.

L’auteur et metteur en scène Jean-Philippe Daguerre fait entendre une petite musique intime dont il régale une fois de plus le public qui s’entasse dans la grande salle du théâtre du Chien qui fume. Dans la veine la plus réaliste d’un théâtre populaire, il dresse un tableau plus vrai que nature de la vie ouvrière d’une cité minière dans les années 50. On est loin de Zola, la vie est rude mais ce qui prédomine est la belle fraternité qui mouille les yeux et réchauffe les cœurs en toute circonstance, un peu comme cette cafetière posée sur un coin du poêle à charbon.

Au Chien qui fume à 14h50 jusqu’au 21 juillet.

L.A.

 

Grégory

L’affaire Grégory Villemin, dite affaire du petit Grégory ou de la Vologne débute le 16 octobre 1984 en fin d’après-midi, lorsque Christine Villemin signale la disparition de son fils de quatre ans du domicile familial situé à Lépanges-sur-Vologne. Dans les heures qui suivent, le corps sans vie de l’enfant est retrouvé à quelques kilomètres du domicile dans la Vologne, une rivière des Vosges. Il a les pieds et les mains attachés, un bonnet rabattu sur le visage. L’affaire attire rapidement de nombreux journalistes français puis étrangers et fait la une de la presse nationale, prenant vite l’allure d’un feuilleton macabre. Cet emballement médiatique va durer des années, illustrant l’intrusion de la presse dans la vie privée des gens et dans l’enquête judiciaire, en perturbant notablement la sérénité et l’objectivité des investigations. Il aura eu aussi pour effet de faire évoluer les procédures d’investigation ainsi que les lois sur la présomption d’innocence et le secret de l’instruction. Quarante ans plus tard, ce meurtre reste une énigme, il aura fait entretemps d’autres victimes avec l’assassinat par le père de l’oncle de Gregory puis le suicide du « petit juge » Lambert en 2017.

Comment porter au théâtre un tel drame sans sombrer dans le sensationnalisme souvent reproché à son traitement médiatique de l’époque ?  Delphine Bentolila situe l’action de la pièce au sein du comité de rédaction d’un grand quotidien, Libération, qui avait couvert abondamment l’affaire à l’époque. Avec notamment un épisode qui provoqua beaucoup de remous internes et externes lorsque le journal ouvrit ses colonnes à une tribune de Marguerite Duras, prix Nobel de littérature, incriminant la mère Christine V. du meurtre de son fils au mépris de toute présomption d’innocence. C’est ce volet de l’affaire qui nous est restitué dans Gregory, loin de toute vaine tentative de faire une enquête sur l’enquête. La pièce interroge ainsi la porosité de la frontière entre l’intime et la chose publique tout en questionnant le traitement du fait-divers dans un journal comme Libération qui se voulait, et se veut encore, aux antipodes d’un traitement sensationnaliste des faits de société. Il n’en demeure pas moins que le risque de dérive existe pour un titre de presse, quel qu’il soit, lorsqu’il s’agit de vendre du papier, ce qui est un impératif économique. Reste la déontologie journalistique,  le grand mérite de ce spectacle étant de faire entendre les débats internes qui agitaient une rédaction à cette époque alors que la plupart des journaux sont aujourd’hui aux mains d’une poignée de milliardaires.

Au 11 à 20h15 jusqu’au 21 juillet.

L.A.

 

Les voiles écarlates

Stéphane Titelein ne transige pas avec l’héritage familial. Celui que lui a légué son père provient d’un engagement politique et syndical qu’il a toujours voulu honorer : « Et si je pouvais offrir à mon père la victoire de son engagement ? ». C’est le propos qui constitue le fil rouge, évidemment, du spectacle Les voiles écarlates, sorte de manifeste théâtral dans lequel l’acteur, metteur en scène et auteur exprime de manière flamboyante les idéaux qui l’ont accompagné au cours de sa vie. Une sorte de devoir de mémoire qui lui fait tenir bien par la main ses rêves d’enfant et ses colères d’adulte. Un trio de musiciens complices l’accompagne pour fouiller le grenier familial, ce qui donne lieu à des échanges assez drôles, puis dans ses embardées lyriques sur fond de musique rock. La belle idée du titre, Les voiles écarlates, provient de celui d’un film soviétique projeté en fond de scène et exaltant l’idéal communiste. Un idéal qui transpire d’un récit basé sur les souvenirs d’enfance, les ambiances des luttes passées et les revendications qui n’ont rien perdu de leur actualité même si elles paraissent s’éloigner aujourd’hui toutes voiles dehors. Hommage à la mémoire populaire, ce spectacle est aussi celui d’un fils à son père, entre tendresse et coup de gueule.

Présence Pasteur à 18h05 jusqu’au 21 juillet

L.A.

 

 

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