Bathing beauty
Le travail de KW, Kate Wyrembelska, nous parle du corps, du mouvement et de l’image. En définitive de l’image du corps en mouvement – si l’on en juge par ses vidéos, projetées sur grand écran, à échelle humaine, d’une nageuse en exhibition, plongée dans un bain de couleur comme nous sommes plongés dans l’espace. Celle-ci s‘adonne à l’une de ces chorégraphies qui ont l’air, à l’écran, si simples et qui supposent des heures de travail préalable. La beauté se mérite. Elle obéit à des codes dans lesquels les marchands d’images ne se privent jamais de puiser. Les images, parlons-en : elles nous habituent aux stéréotypes orientant une conception péremptoire de l’idéal, de la perfection, de la précision absolue dans la planéité – pour ne pas dire la platitude… la réalité nous offrant plutôt le relief, le défaut qui peut aussi bien nous révéler son charme, la temporalité incessante et jamais rassasiée. Les couleurs, dans le fond, sont artificielles voire improbables ; les lumières semblent le fruit de nos technologies avancées. On est dans un autre monde. Les gestes corporels sont très, peut-être trop, précis. Ils se réfèrent aux comédies musicales ou spectacles aquatiques qui ont caractérisé le cinéma hollywoodien des années 40-50, la crème de l’illusion, l’essor d’un mythe, à l’instar d’Esther Williams par ex, alors que c’est la danseuse Mirousha Thomann qui prête ici son corps en tant que modèle (en vidéo et sur toutes les images). KW s’ingénie à perturber cet ordonnancement trop poli pour s’avérer honnête. Le bug guette comme si la technique ne supportait pas la perfection.
Dans ses réalisations picturales, l’image se concrétise en matière et s’y dissout. Le mouvement se fige. La forme tend à disparaître dans un bleu matiéré qui s’agite (les trainées rouges c’est tout ce qu’il reste du corps, et le blanc de la lumière). Parfois, elle s’évanouit totalement et laisse place aux remous aquatiques dans un style qui peut rappeler David Hockney. Le remous devient ainsi la métonymie du corps absent. KW va plus loin puisqu’il lui arrive de dissocier le châssis de la toile, de rejeter donc la notion de tableau et de peindre sur de larges et longues bandes de toiles libres, qui occupent l’espace de haut en bas et du mur au sol. Le visiteur est alors comme invité à plonger lui aussi, du corps et de l’esprit, dans l’espace qui lui est offert. Il se retrouve au fond entre deux eaux : face à une image stylisée de l’eau, mise en mouvement par le corps absent mais qui peut tout aussi bien être perçue tel un motif abstrait, souple et répété, dans des tons à dominante bleue. Il ne s’agit plus d’une image corporelle reproduisant, afin l’idéaliser, la réalité référente. Plutôt d’une semi-image ou semi-abstraction comme on le veut. Un trait d’union en tout cas un peu comme l’est la surface (de l’eau par ex). L’espace offert paraît à pénétrer ou à remplir. Du moins le regard se perd-il dans les méandres qui s’animent en surface et invite-t-il l’esprit à lâcher les bouées de l’imaginaire et à s’aventurer, au plus profond. La déferlante c’est un peu du réel qui submerge l’image et les illusions qu’elle fomente.
Dans les graphismes ou dessins, assez dépouillés, le corps a laissé place au mouvement des lignes, à cette géométrie des gestes devenus absents et que l’on peut toujours reconstituer mentalement. L’un des tableaux fait penser aux fameux dripping de l’expressionnisme abstrait qui connote également la danse. Tout un aspect de la production de KW flirte avec l’abstraction, un peu comme une nageuse qui évoluerait sous l’eau de la surface. Cependant les œuvres numériques, nommons-les peintures, sollicitent encore l’image et recourent aux photomontages de type surréaliste, avec des tons plus neutres toutefois car KW aime bien dérégler les conventions, de même qu’elle cultive l’imperfection du détail. Les sérigraphies isolent une image d’un geste de nageuse. Elles font surtout penser à notre insistante publicité. Celle-ci apprécie tant les corps bien faits ! Et les figures qui le subliment… Ainsi les voit-on en permanence détournés à des fins mercantiles de sorte que l’image se propage et avec elle le stéréotype qu’elle concourt à façonner, assortie d’une vision de l’idéal, tandis que le réel, plus humblement, passe et décline. Le corps alors se voit prisonnier de son image. La peinture, et tout ce qui fait cadre en général, marque bien cet état de claustration qui prend une valeur non seulement socio-politique mais métaphysique. L’art de la publicité, clinquante comme un miroir déformant, et l’esthétisme idéaliste en général, ont poussé jusqu’au cynisme l’exploitation de la condition naturelle du corps, dans sa finitude infinie pourrait-on dire. Sans doute KW, de par ses origines, est-elle plus que toute autre, sensible à cette condition. Et plaide-t-elle, plus que toute autre, pour son émancipation.
BTN
Plus d’informations : montpellier.fr
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