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Sélection Off Avignon : chronique 5

23 Juil 2021 | Festivals, Spectacles vivants, Théâtre, Vaucluse

65 Miles

  C’est un road-movie psychologique qui met en présence les membres d’une communauté où l’irruption de l’un des siens, après des années de prison, va provoquer une remise en cause qui ne laissera personne indemne. «Ça n’a pas changé, toujours le même papier peint pourri » dit Pete, tout juste sorti de taule, à son frère Richard, ce dernier pas vraiment ravi par la visite impromptue du frangin au domicile familial. Pete veut retrouver sa fille de quinze ans qu’il n’a jamais connue, alors que son frère refuse d’endosser pour sa part une paternité à laquelle il n’est pas prêt. Tous deux sont des enfants abandonnés, un héritage qu’ils trimballent dans leurs rapports quotidiens avec les autres, la fiancée enceinte et délaissée, la mère remariée ou le conjoint sympa. 

  65 Miles, c’est une distance physique entre deux villes, Hull et Sheffield, dans le texte de l’auteur anglais Matt Hartley qui véhicule une vision presque kenloachienne des rapports humains, entre pudeur et non-dits, en un métalangage qui construit la vérité de chaque personnage. Mais 65 Miles c’est aussi une distance avec les autres et avec soi-même, parfois le bout du monde. La scénographie est puissante, avec de grands panneaux réfléchissants qui tapissent le fond de la scène comme un miroir contre lequel viendraient buter les destins. La mise en scène offre de très beaux moments, ainsi la séquence initiale qui nous présente frontalement, sur fond de musique rock, l’ensemble des protagonistes, avec cette impression de contempler le négatif d’une photo de famille où l’on ne distinguerait que des silhouettes fantomatiques. Il y a aussi cette neige qui tombe à un moment sur le plateau comme un voile sur de vieilles blessures. L’ellipse dans les sentiments des personnages, qui en dit long parfois, se retrouve à travers la succession des tableaux dont l’effet clip accélérateur se veut entraînant certes, mais laisse peu de temps au spectateur pour s’attacher vraiment aux personnages. Ce qui ne nuit pas vraiment à la réussite du spectacle, 65 Miles vaut le voyage.

                                                                                                                                       L.A.

65 Miles au Girasole à 15h50 jusqu’au 31 juillet, relâche le 26.    04 90 82 74 42

L’homme qui tua Mouammar Kadhafi

  Ce sont des hommes de l’ombre, mais l’un d’entre eux se retrouve ici sous les feux des projecteurs. Etrange rencontre que celle de cet ancien agent de la DGSE, le service de renseignement extérieur français, venu raconter dans le Off avignonnais ses souvenirs de la chute de Kadhafi en Libye survenue en octobre 2011. Sur scène, deux fauteuils et une table pour planter le décor de ce qui ressemble au cadre d’une interview. C’est Alexis Poulin qui s’y colle, co-fondateur du média en ligne Le Monde Moderne et invité régulier des plateaux télé, notamment avec ses éditos sur Arte. Une carrière antérieure lui a permis d’œuvrer dans les milieux diplomatiques dont il connaît bien les arcanes. Il est donc sur scène pour accueillir son invité et faire monter le suspense de révélations imminentes. Attention, ouvrez bien vos oreilles ! Apparaît alors un homme à la quarantaine sportive, quidam au physique ordinaire qui se prête au jeu de l’interview en précisant ne pas appartenir au service Action de la DGSE pour laquelle il a travaillé pendant dix ans, mais qu’il était présent en Libye de 2007 à 2011 sous la couverture d’attaché culturel. Aux premières loges donc pour observer les événements qui ont ponctué la relation du guide de la Révolution avec la France. Et notamment avec Nicolas Sarkozy dont il était très proche, pour preuve leur lune de miel en 2007 quand Kadhafi déploya sa tente peuplée d’Amazones devant le Louvre, ce qui ne manqua pas à l’époque de susciter un émoi national. C’était avant que la relation ne se détériore et que les avions Rafales français envoient leurs missiles sur Benghazi en mars 2011, lors des événements du Printemps arabe. « Notre Irak à nous dont on n’a pas fini de payer le prix », dit l’agent de la DGSE. Depuis lors, Sarkozy reste sous le coup d’une inculpation pour motif de corruption puisqu’on le soupçonne d’avoir reçu de la part du chef d’Etat libyen des valises de billets – il y en aurait pour 50 millions d’euros – réceptionnées par son éminence grise Claude Guéant, autre inculpé dans cette affaire semée, il faut le rappeler, de quelques cadavres interlopes retrouvés ici et là.

  L’intérêt de ce spectacle est de rappeler qu’une démocratie européenne des plus modernes – la France – peut se comporter comme une république bananière quand la moralité de ses principaux dirigeants vient à défaillir pour cause d’ambitions personnelles. L’homme qui tua Kadhafi joue sur les ressorts d’un thriller où nous sont progressivement distillés les mobiles du crime, démontant les rouages d’une machination. Sauf qu’à la fin on ne connaît pas l’assassin, juste une silhouette aperçue par l’ancien agent de la DGSE en train de monter à l’arrière de l’ambulance qui emportait un Kadhafi à moitié lynché mais vivant, et qu’on retrouvera quelques heures plus tard à la morgue avec l’impact de deux balles dans la poitrine et dans la tête. « L’œuvre d’un tueur », assure l’ancien agent de la DGSE qui confie avoir « son idée sur la question », mais qui éludera finement certaines autres questions posées par le public, l’exercice de « journalisme live » invitant les spectateurs à participer au débat. Un moment de pédagogie utile et citoyenne pour remettre en mémoire ce qui reste l’un des principaux scandales de la République, même si les fans du Bureau des Légendes resteront sans doute sur leur faim. Mais une question subsiste in fine : cet agent de la DGSE, dont on ne connaît évidemment pas l’identité, si à l’aise sur scène, est-il un véritable espion ou un acteur en chair et en os ? Le mystère reste entier, même si, tout comme lui, « j’ai mon idée sur la question ».

                                                                                                                    Luis Armengol

L’homme qui tua Mouammar Kadhafi au 11 Avignon à 17h05 jusqu’au 29 juillet, relâche les lundis.   04 84 51 20 10

Midi nous le dira au Train Bleu © Michel Cavalca

Midi nous le dira

  Najda de onze à douze, une heure dans la vie d’une jeune fille de 18 ans. Mais une heure capitale car elle attend la nouvelle la plus importante de sa vie jusque-là : fera-t-elle partie de l’équipe de France Espoirs de football pour la prochaine compétition internationale qui doit se dérouler dans plusieurs stades de Bretagne, notamment dans celui de Saint-Malo, club d’origine et ville où elle vit ? En attendant de connaître la décision de la Commission de sélection, à midi tapant, la Najda Kermarrec d’aujourd’hui adresse dans le cloud un message filmé avec son téléphone à son double virtuel, la Najda qu’elle sera dans 10 ans. Une « capsule temporelle », comme une bouteille à la mer où elle fourre, un peu en vrac, ses espoirs, ses attentes et cet amour dévorant pour un sport qu’elle vit de manière absolue, quasi monomaniaque. Elle raconte son coup de foudre, son premier contact avec le ballon à l’âge de six ans, elle l’absorbe, elle l’intègre comme « un organe que je m’ignorais et découvre d’un coup / si précieux / si puissant / c’est le cœur que je n’avais pas. » Elle confie aussi les doutes de son entourage et les préjugés qui veulent qu’une fille ça ne joue pas au foot. A part sa grand-mère qui la soutient, se souvenant de sa propre mère éprise de course à pied et qui partait en cachette courir dans le désert. Najda se saisit du témoin, le mot est juste, de cette insoumission, le relais s‘effectue entre elle et son arrière-grand-mère. La revendication féministe, le droit d’être soi-même, est un parcours semé d’obstacles.

  Lison Pennec joue le rôle de Najda, avec une générosité dans l’engagement physique que la comédienne, formée à l’école Charles Dullin puis à l’Ensatt, sait moduler pour laisser entrevoir les nuances et les couleurs qui font la richesse de son personnage. Il faut saluer cette comédienne en même temps que le texte écrit par Joséphine Chaffrin qui met en scène « Midi nous le dira » avec Clément Carabédian, créateurs tous deux de la compagnie Superlune en Saône et Loire. Un véritable texte d’auteur qui dribble les formules convenues et les clichés pour transmettre l’énergie brute du personnage si emblématique de la jeunesse d’aujourd’hui, sa verve, sa fougue et ce côté un peu mal foutu de grande ado en quête d’identité.  On est conquis.

                                                                                                                                        L.A.

Midi nous le dira au Train Bleu à 20h15 jusqu’au 26 juillet, relâche le 20 juillet.  04 90 82 39 06

Terreur

  Peut-on tuer 164 personnes pour en sauver 70 000 autres ? C’est la question que pose Terreur, pièce de l’auteur contemporain allemand Ferdinand von Schirach mise en scène par la compagnie Hercub’. Une compagnie qui questionne les violences contemporaines et dont on avait vu, lors d’un festival précédent, l’excellent Espace Vital, œuvre de politique-fiction, Leur nouvelle création revêt les formes d’un procès qui transforme les spectateurs en jurés, accueillis avant même d’entrer dans la salle par un président de Cour d’Assises. Informés de leurs droits et de leurs devoirs à même le trottoir, ils pénètrent ensuite dans le théâtre, de façon un peu plus solennelle que d’habitude, munis d’un dé blanc pour décider du sort – acquittée ou condamnée – d’une jeune femme en costume de pilote de l’air assise dans le box des accusés. Il s’agit de Laura Koch, pilote de chasse de l’armée allemande, jugée pour avoir abattu un avion civil détourné par des terroristes qui voulaient s’écraser sur un stade de football bondé de Munich. Elle avait pourtant reçu l’ordre de sa hiérarchie de ne pas tirer, mais elle a désobéi. D’où ce procès, avec président du tribunal, procureur public, avocat de la défense, greffier et partie civile (la femme d’un passager) qui interviennent à tour de rôle dans les débats. Le commandant Koch avait-elle le droit de sacrifier la vie des passagers et des membres de l’équipage au nom du moindre mal , du moindre nombre ? Les juges rappellent la mise en garde à ce sujet de la loi constitutionnelle condamnant un tel acte, mais l’accusée se défend de son droit de choisir et de l’urgence de la décision. Mais pourquoi ne pas avoir fait simplement évacuer le stade, alors qu’il restait du temps pour le faire puisqu’une heure s’est écoulée entre le premier message d’alerte de l’équipage et l’attaque? C’est ce que demandent les juges à la hiérarchie militaire, sans aucune réponse de celle-ci. On suit les débats avec un intérêt soutenu, tant pour la forme – celle d’un faux-vrai procès – que pour le fond, puisque la pièce interroge la question de la menace terroriste dans le quotidien de nos vies. Pas de quatrième mur ici, juges et avocats s’adressent directement au public sollicité pour émettre un verdict final. Qui s’avèrera, sans grande surprise, celui de l’acquittement à une grande majorité. En même temps qu’un des problèmes majeurs de nos sociétés modernes, le terrorisme, Terreur interroge également notre capacité à juger du bien et du mal, tout comme les valeurs qui nous structurent et leur étanchéité aux émotions et aux instincts. Il est parfois plus facile d’être dans la peau d’un juge que d’un juré, c’est peut-être la morale que nous laisse ce spectacle mené habilement par un équipage de comédiens qui connaît bien son plan de vol.

                                                                                                                                        L.A.

Terreur au 11 Avignon à 20h05 jusqu’au 29 juillet, relâche les 19 et 26.   04 84 51 20 10

Délicieuse(s)

  Celle qui raconte est une femme blessée : « Du jour au lendemain, on m’a arraché mon éternel. » Elle parle à l’homme qu’elle aime et qui veut la quitter pour une autre. Elle dit les mots du mensonge, de l’aveu, du chagrin et de la pitié en arpentant la scène et sa solitude, tandis qu’un écran projette derrière elle des images lancinantes qui semblent vouloir remuer le fer dans la plaie, continuum dramatique. Elle va s’épancher sur les réseaux sociaux, juste « pour faire partie de la grande famille de ceux qui s’en vont vomir leur petitesse ou leur grande mythologie personnelle sur des millions d’écrans. » Elle vide son sac, au rythme des likes et des partages, prête à tout pour que cet amour ne lui échappe pas, jusqu’au bout, jusqu’au drame final. Amour à mort. Derrière le prosaïsme des mots, la tragédie couve à petit feu, monstrueuse comme ce repas que la folie meurtrière mitonne en dénouement. Un beau travail de mise en scène et l’interprétation d’Agnès Audiffren, adaptatrice du roman de Marie Neuser, hantée par le récit qu’elle en restitue, rendent palpables les convulsions d’âme du personnage. Une femme qui plonge la tête la première dans les abysses de la passion pour y chercher une lumière qui n’existe plus, comme celle des étoiles mortes. Plongée accompagnée sur scène par trois musiciennes qui prennent le relais des mots quand ceux-ci s’avèrent inopérants. Si vous l’aimez noir et bien serré, allez voir Délicieuse(s).

                                                                                                                                     L.A.                                                                                                                        

Délicieuse(s) au Théâtre du Balcon à 17h25 jusqu’au 30 juillet, relâche le mardi.  04 90 85 00 80

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