Cela fait belle lurette que l’on a analysé la fonction des mots dans la peinture. Le langage demeure un outil de fascination car il détermine l’humain et donc l’art qui en émane. Il a pris de plus en plus d’importance au cœur des activités plastiques depuis Fluxus, l’art conceptuel ou le lettrisme et bien antérieurement avec Dada ou le surréalisme, mais on sent énormément d’artistes travaillés par l’expression plastique des mots. On passe en effet du lisible au visible et du message en tant que tel aux différentes manières de le mettre en forme, qui détermineront de nouvelles possibilités d’interprétation, et enrichiront sa signification. Cette mise en évidence plastique du message est d’autant plus d’actualité que nous vivons à l’ère des SMS et autres tweets.
Les commissaires de cette exposition, elles-mêmes artistes, Camila Oliveira Fairclough et Sylvie Fanchon, n’ont pas cherché à opérer un choix exhaustif qui eût été impossible et injuste. En revanche, elles ont tenté de couvrir toutes les générations et les mouvances qui vont avec : celle des années 30 et 40 ainsi que le prouve la présence du vétéran Gene Beery du regretté Rémy Zaugg ou du poète belge Walter Swennen (un plan de prison entourée de mots). L’art conceptuel est d’ailleurs présent grâce à la présence tutélaire de Joseph Kosuth et de ses célèbres tautologies, auquel les installations de Muriel Leray, de cinquante ans sa cadette, semblent rendre hommage, elle qui recourt à la chaise et au banc muséaux. Autre trentenaire et benjamine, la Nîmoise Marie Glaize, conçoit ses interventions comme une transaction avec le public qu’elle sollicite activement, par le biais d’injonctions verbales, pour des jeux, des recherches, des manipulations. Ce qui ne devrait pas déplaire à Camila Oliveira Fairclough, d’origine brésilienne, qui précise simplement à ses visiteurs invités : « venez comme vous êtes ». Et compose un tableau à sa Chérie, avec des fleurs décoratives sur tissus imprimés. Inversement, l’autre commissaire, Sylvie Fanchon, de la génération suivante (années 50) distille des messages triés sur le volet et relevant de la vie quotidienne, dosant scrupuleusement leur proposition relative au sein de la surface plutôt généreuse de ses tableaux colorés (Iamnotarobot).
En fait, le territoire prospecté, le langage tel qu’on le peint, est bien plus ouvert que l’on ne pourrait l’imaginer : Et l’on notera la différence notable de traitement du motif verbal d’un Corentin Canesson, dans sa façon de saturer l’espace pictural d’un simple message « Pas ça », avec force énergie et couleurs, si on le confronte avec le simple TOUTOU RIEN (Voci mon chien), écrit noir sur blanc en lettres majuscules, comme une dérison du Ecce homo, de Pierre di Sciullo. Ou à l’élégant TV telepathy de Jessica Diamond, en larges courbes hypnotiques caricaturant le consumérisme télévisuel (Eat Sugar Spend money). De même les « Bad ideas » gravées dans le plâtre de Chloé Dugit-Gros tranchent quelque peu avec la fine et intimiste référence en espace domestique de la photographe Martine Aballéa à Celui qui me distrait. Nicolas Chardon disperse à même le mur les éléments de son lettrisme personnel, abstrait et pré ou post verbal, avec une rigueur qui force l’attention et qui n’a pas grand-chose à voir avec l’engagement objectivé, quasi physique, d’une Anne-Lise Coste, qui a eu récemment les honneurs du Crac, et qui recourt au mot comme armes de combat, notamment quand elle les peint sur des capots récupérés d’épaves de voiture en forme de boucliers.
Car entre les plus jeunes et les plus anciens se sont glissés quelques artistes confirmés : Claude Closky ou le Brésilien Julio Villani. Les plus jeunes, je pense à Éléonore False qui recourt aux livres pour élaborer ses collages, incarnent l’avenir de ce que l’on pourrait appeler un genre, un peu à part, mais non négligeable. La question qui sous-tend cette proposition prolifique est : est-il besoin de mots ? Il semblerait que oui et même que les mots soient l’ultime moyen de sortir du sujet, de faire table rase et de reconstruire. Au fait que signifie le titre : il s’agit d’une comptine milanaise toute en onomatopées et sons vocaliques.
Mais le Mrac, c’est également une collection à revisiter en permanence. Cette fois, c’est la chorégraphe Mathilde Monnier qui a invité divers patients de l’hôpital de Béziers, passionnés d’art, à effectuer une sélection et à se l’approprier temporairement, en invitant Dominique Figarella à réaliser une scénographie appropriée. La liste des artistes retenus serait trop longue mais on y repère des œuvres de la Sétoise Armelle Caron, les noms de Chéri Samba ou de Per Barclay, de Raphaël Zarka ou du duo figuratif Tursic et Mille. Un artiste comme Stéphane Magnin aussi, exposé au tout début du Mrac.
Enfin la vidéo n’est pas oubliée avec le long métrage sonore de Noëlle Pujol, qui n’en est pas à son coup d’essai, Boum ! Boum ! qui scrute dans le détail sa vision des puces de St-Ouen, et aussi son émouvant hommage à son frère handicapé : Lettres de Didier.
Comme toujours, au Mrac, les propositions sont suffisamment généreuses pour justifier le voyage. Les expositions s’y suivent et ne déçoivent pas.
BTN
Plus d’informations : mrac.laregion.fr