C’est jeudi dernier, sur le parvis des arènes, en décor une affiche géante, imaginée par Marjorie Nastro, suspendue au plus haut du monument, que le festival flamenco, l’un des plus célèbres au monde, s’est dévoilé. La 35ᵉ édition, du 9 au 18 janvier, va apporter richesse, talent, réflexion, grâce aux interprètes de l’âme de la fiesta flamenca, du compas au cante grande, lesquels vont investir une semaine durant la ville de Nîmes, pour un temps inscrite dans le « tempo del diablo » et les ferveurs flamenca. Une semaine pour essayer de comprendre ce qui est un art, mais aussi art de vivre, une essence, leur profondeur existentielle. Enfin entendre les voix, suivre gestes et pas bien engagés dans le sillon flamenco, creusé d’une mine d’émotions.
Le programme, tout à voir rien à jeter, en dépit de possibles réserves ou de justes préférences propose exclusivités et premières françaises ou mondiales.
Comment ne pas se presser pour voir le premier volet Initio (uno) et se jeter Al fondo Riela (La Otro del Uno), le deuxième volet de Rocío Molina qui, accompagnée par les talentueux guitaristes Yerai Cortés et Oscar Lago, lance une scénographie, ode authentique et poétique au charme de la danse, à la liberté du mouvement et du corps. Du dialogue au tableau intime, Rocío Molina met tout son être dans la force et la délicatesse du geste et du pas, dans la puissance d’un claquement de doigts, la subtilité d’un soulèvement d’épaule.
La romance populaire en trois temps du Ballet flamenco de Andalucía dirigé par Patricia Guerrero livre, en ouverture du festival, et c’est aussi une belle idée flamenca, une Mariana Pineda, majestueusement libérale, héroïne reconnue du jeune Federico Garcia Lorca.
Recto y Solo, l’atypique danseur Andrés Marín, invité incontournable du festival nîmois, est autant chercheur que danseur, investiguant toutes les possibilités d’une danse qui n’a point d’âge. On constate qu’entre les pas de cet inclassable artiste, le flamenco est toujours entre naissance et maturité. Mais respect de todos modos, car la performance est incontestablement là, avant-gardisme aux aguets.
La edad de Oro du flamenco se mesure aussi avec le danseur Israel Galvan qui s’est imposé, la scène nîmoise en est l’heureux témoin, depuis plusieurs années, comme l’une des grandes et géniales figuras du baile.
Et la pura alegria vint aussi par la grâce d’une grande dame du flamenco, Maria Pérez dont le spectacle Solea ma voisine entrainera petits et grands dans un large maelström d’émotions.
À noter la présence d’Ana Pérez, danseuse et compositrice que le public pourra applaudir pour son Concerto en 371/2, pièce d’une rare virtuosité.
Comment ne pas s’attarder sur celui qui fait monter ses tripes le long des cordes de sa guitare ? « La nerveuse main sur la corde vibrante émettait un long gémissement doré qui se changeait en fontaine d’étoiles » écrivait Antonio Machado. Antonio Rey, l’un des guitaristes les plus marquants de sa génération, illustre cela par la rigueur technique, l’assurance, la précision, formant un trio musical, plus encore flamenco, gagnant. Dans une fascinante intimité avec l’instrument, il exprime ce qui se niche dans le cœur et le ventre de « l’une des créations populaires les plus fortes qu’il soit au monde ». À suivre, puisqu’il s’agit de crónica de un suceso, qui serait celui de Rafael Ramirez, tout hommage au grand Antonio Gades, danseur et chorégraphe, qui a porté le flamenco à son point d’incandescence. D’une autre façon, la toute jeune María Terremoto va poser son Manifiesto, un album en première mondiale.
Et toujours de la Danza para guitare avec Valeriano Paños et un duo Alter ego formé de deux monstres sacrés du flamenco actuel, Alfonso Losa et Paula Comitre dans un jeu de miroirs émotionnel éblouissant.
Voilà donc Nîmes très bientôt recentrée autour de la colonne flamenca, plongée dans un univers créant de l’ardeur et de la fébrilité, assorties d’une gaieté teintée d’un zeste de pathos. Un peu partout dans la ville jailliront les effluves flamenca de cet art pénétrant, qui porte vers la fondamentale aventure du chant et de la danse, rendant caduque toute notion de distance, de frontière. Le flamenco possède, en effet, et de la manière la plus magistrale et spectaculaire, la capacité de déplacer les lignes, soutenant aisément ce paradoxe, visant à ne pas renoncer pour autant à l’aspect fondateur, énergétique : l’Esprit, celui qui reste de manière vitale, attaché à un territoire, un art de vivre, un sentido.
MJ.Latorre
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