La Chine fascine parce que l’on subodore le rôle qu’elle joue d’ores et déjà, et est amenée à jouer bien davantage encore dans les siècles à venir, que son grand nombre d’habitants préfigure les problèmes de la surpopulation mondiale et aussi du fait qu’elle nous tend un miroir grossissant du nivellement des cultures qui risque de se faire jour partout ailleurs si nous n’y prenons garde. Pour faire image, de 2004 à 2018, François Daireaux, artiste-photographe mais aussi sculpteur et cinéaste aura arpenté plus d’une centaine de villes chinoises dans plus de 22 provinces différentes. De ces 5000 clichés au moyen-format en argentique, il en a retenu 125 pour réaliser l’ouvrage Discover. Il pousse un cri d’alarme et nous montre un pays en profonde mutation. En témoignent ces plans généraux sur d’immenses ensembles de cités contemporaines semblant comme émerger en lieu et place du paysage, rural et naturel, ancestral avec ses grottes et monuments. Les villes ici poussent comme des champignons, signifiant un changement radical de mode de vie et une perte irréparable des traditions locales. L’humain a un seul droit : celui de s’y adapter…
Les photos sont toutes en couleur mais le ciel grisâtre, la monotonie blafarde des gigantesques immeubles qui obturent l’horizon, la couleur terne de la terre font que l’on se sent plus proche d’un monde incolore. L’individu est manifestement isolé dans ce contexte démesuré qui le réduit à si peu. Les signes des anciennes cultures sont détruits. La surface de la Chine est remodelée. La Chine, découverte , est en chantier. François Daireaux glane ainsi, au fil de ses pérégrinations d’est en ouest, un certain nombre de points de vue, disons de tableaux, qui n’ont pas besoin de beaucoup d’explications pour se faire entendre. Les clichés parlent d’eux-mêmes. Images de chantier, qui ne font pas dans la dentelle ; Images de vestiges temporaires de cimetières ou de monuments comme dévorés par un vorace et grand géant ; Image d’une femme et son enfant au premier plan et qui semble perdue dans un environnement qui la submerge et dans lequel grandiront ses rejetons ; ouvrier fourmi se livrant seul à un véritable travail de titan, ou plutôt de Nibelungen, se donnant l’illusion de dominer le monde ; arbre totalement isolé dans un environnement voué à d’autres fins… L’instant est immortalisé et soumis à notre appréciation. On ne pourra pas dire que l’on n’était point prévenu. L’horizon est bouché. L’avenir se joue ici, dans ces concentrations urbaines. On est loin déjà du paradis perdu. Ayant trouvé le sien dans un coin ou un rare point d’eau un vieux fonctionnaire en képi semble nous signifier : Tout baigne… A moins qu’il ne nous faille comprendre : entre deux eaux, je surnage. Nous surnageons. On l’a déjà dit : la faculté d’adaptation est surhumaine mais à quel prix ! Un autre cliché est assez éloquent, qui présente un nageur en petite tenue au bord d’une rivière, pointant sa lampe vers l’objectif, comme si l’heure était à la suspicion généralisée. Le contraste entre des palmes incongrues, ou sa lampe et l’environnement traditionnel dans lequel il cherche un minimum d’intimité est bien l’indicateur d’une période transitoire. De même la fragilité de l’individu face aux forces obscures et aux dangers qui le guettent.